Mell. G. Colette, 14 ans, consulte début avril 2013 de la part de son chirurgien dentiste qui a vu la patiente « en urgence » un mois plus tôt et l’adresse pour « luxation récidivante de l’ATM ». il précise que: « cette luxation s’accompagne de douleurs et d’une tuméfaction génienne ; l’examen des clichés radiographiques ne présentent pas de lésions…un stomato a fait une gouttière en port nocturne ; je lui ai conseillé de la porter jour et nuit. Les dents de sagesse ont été retirées il y a un an. Le traitement ODF ne pourra être commencé que si la pathologie est traitée ».
L’entretien avec la jeune patiente, accompagnée de ses parents, est en lui même fort intéressant car l’historique et la description des signes et symptômes sont compliqués par quelques difficultés de communication : la patiente « ne se plaint jamais », elle occulte les événements (ses parents aussi) et sous estime les signes cliniques. Elle répond négativement à l’interrogation sur le stress alors que tout en elle montre un haut niveau de stress. Elle répond négativement à la question d’un éventuel trauma alors que la semaine précédente elle était chez le kinésithérapeute à la suite d’un accident de basket concernant la mandibule…Elle dit ne pas être laxe, n’avoir aucune articulation qui craque, alors que si nous le prenons simplement les doigts ils craquent et peuvent être retournés bien au delà de la normale. La patiente ne « ment » pas : elle passe simplement à coté d’éléments cliniques; ou ne sait pas les restituer. Cette situation n’est pas étrangère aux défauts de prise en charge dont elle est victime.
Nous reconstruisons ainsi l’historique des DAMs dont elle souffre :
– En février 2012 le praticien traitant fait extraire les dents de sagesse sous AG. Le motif est inconnu des parents et de la patiente. La patiente qu’on interroge sur d’éventuels problèmes des ATMs avant ou après cette intervention répond négativement. En fait, l’entretien montrera par la suite que des craquements et difficultés sont apparus après ces extractions, aboutissant en juin 2012 à des blocages et un gonflement de la joue droite. La prescription d’anti-inflammatoires avait soulagé.
– Pour les douleurs, la patiente les localise (très approximativement) à droite ou à gauche, au niveau des branches horizontales, parfois à droite et à gauche, le plus souvent à droite seulement. Quand on lui indique la région ATM (son doigt dessus) la patiente dit que ce n’est pas là qu’elle a mal.
– Les bruits articulaires (de type claquement) se précisent au fur et à mesure de l’entretien clinique (alors qu’il n’y en avait, soit disant, pas). Ils sont apparus après les extractions sous AG, et étaient accompagnés de gonflements et douleurs qui ont poussé à consulter en juin 2012. Ils étaient bilatéraux, intermittents, augmentés par la mastication, en particulier des sandwichs et aliments durs, et lors des baillements. Ces bruits articulaires n’inquiétaient pas la famille, contrairement au gonflement de la joue. Quant aux douleurs… « la petite est dure au mal ».
– Un scanner a été prescrit en juillet 2012 à l’hôpital où elle avait été conduite : l’indication et les conclusions ne sont d’aucun intérêt. Elles masquent à bon compte un défaut de diagnostic.
– Les troubles persistants, le praticien traitant adresse la patiente à un stomato en janvier 2013. Il réalise une gouttière occlusale qui mérite d’être décrite. Cette « orthèse » est en polyéthylène souple, à peine adaptée sur les dents mandibulaires, et ne recouvre pas les dents de 12 ans ! Colette dit qu’elle a moins mal avec cette gouttière (comme quoi elle souffrait !).
– Lors de cet entretien clinique nous notons une certaine asymétrie faciale et apprenons que la semaine passée, à la suite d’un choc lors d’un match de basket, la patiente a été conduite chez un kinésithérapeute qui a pratiqué une manœuvre de traction bimanuelle sur la mandibule (Nélaton?), et qui a été l’occasion de douleurs si vives que la mère a du intervenir pour la faire cesser.
L’examen clinique ne met en évidence aucune sensibilité à la palpation des muscles masticateurs ou des articulations temporo-mandibulaires. La motilité est de 35 mm en ouverture rectiligne et de 5 mm latéralement (des deux cotés) ; sans douleur. Nous observons qu’il n’y a aucun ressaut articulaire ni bruit articulaire. Nous nous en étonnons auprès de la patiente qui confirme effectivement la disparition des craquements à la suite de la manœuvre du kinésithérapeute quelques jours plus tôt. Par ailleurs la mandibule est détendue.
L’examen buccal montre des dents en bon état mais une situation occlusale perturbée par une déglutition linguale asymétrique qui créé une béance canine à gauche. Par ailleurs la manipulation de la mandibule détendue aboutit à une intercuspidation très différente de l’OIM : il n’existe qu’un seul contact entre 27 et 37 (égression liée à l’orthèse trop courte?) alors qu’en OIM il n’existe que des contacts à droite.
Ces éléments nous incitent à exprimer ainsi notre compréhension de ce cas :
– des données structurelles sont en cause :l’asymétrie faciale, la laxité ligamentaire, la déglutition atypique et le décalage entre OIM et ORC
– aggravées par des manœuvres iatrogènes : extractions des dents de sagesse sous AG chez une enfant de 13 ans, orthèse trop courte, manipulation du kinésithérapeute
aboutissent à une luxation discale irréductible (LDI) bilatérale.
Je souhaite poser plusieurs questions aux cliniciens qui fréquentent ce blog :
– Avez vous la même lecture que moi de l’enchaînement étio-pathogénique du DAM ?
– Quelle prise en charge peut-on envisager ?
– Une intervention occlusale peut-elle soulager la patiente ?
4 commentaires
castor a dit:
Avr 23, 2013
OK pour l’enchainement de la pathogénie,
mais avant ?
bien sûr on peut supposer que le problème ATM a été déclenché par les germectomies des DDS et aggravé par une manoeuvre ….
mais le problème occlusal, dysfonctionnel est très ancien, il existait peut-être déjà en denture lactéale, il est peut être la cause de l’interposition linguale
je crois qu’il est indispensable de revoir la politique orthodontique
orthodontie veut dire remettre droit les dents, pas dans le sens alignement mais dans le sens fonctionnement
si on veut obtenir un bon équilibre, ce n’est pas en attendant que les patients aient 12, 13, 14 ans ou plus
nous devons dépister et soigner le plus tôt possible
je ne vois pas de malocclusions en denture lactéale s’arranger seules, il y a aggravation à chaque changement de denture
alors maintenant, pour cette patiente, c’est plus difficile, qu’il y a 2 ou 3 ou 5 ou 9 ans!
il faut redonner une bonne position articulaire et ensuite orthodontiquement, corriger ce qui me semble être une Classe II plus marquée à gauche, aider les dents se déplacer pour caler et maintenir… avec des articulations qui ont souffert et dont les lésions sont en partie irréversibles
alors un occluso qui reverra cette patiente dans 10 ou 20 ans, dans sont interrogatoire demandera « avez-vous eu un traitement d’orthodontie » et en concluera peut être une relation de cause à effet
pour répondre à votre troisième question, je pense qu’une intervention occlusale peut soulager … mais pour combien de temps ???
jeannine a dit:
Avr 25, 2013
Merci castor pour cette réflexion qui est parfaitement justifiée: oui il y a des cas qui devraient être pris en charge beaucoup plus tôt par l’orthodontiste (mais pas pour enlever les DDS). Je suis un peu surpris par votre remarque selon laquelle le problème occlusal pourrait être la cause du problème lingual. A mes yeux le problème occlusal serait plutôt secondaire à la déglutition atypique. Et dès lors, pourquoi ne pas se poser la question de la possibilité d’une rééducation de la déglutition? Pourquoi ne pas chercher si des facteurs posturaux plus généraux ne sont pas liés au désordre lingual?
Dans quel ordre attaquer le problème? Quels sont les éléments thérapeutiques fiables? ET si on se lance dans une intervention occlusale quelle serait-elle? Orthèse (avec quel objectif)? ODF (dans quelle position mandibulaire)? Rééducation de la déglutition?
La discussion reste ouverte. Merci
Hans Block a dit:
Avr 26, 2013
Bien sûr qu’une intervention occlusale doit être envisagée pour soulager les ATMs de la patiente. Compte tenu du contexte je ne suis pas certain que la première approche puisse être constituée par les conseils comportementaux: il faut limiter les contraintes sur les zones bilaminaires. Et pour cela il me semble utile de mettre au plus vite en place une orthèse portant deux butée postérieures…avec l’espoir que la situation articulaire, chez cette patiente jeune, soit encore « récupérabble ». Une orthèse qui recouvre toutes les dents bien sûr!
Vince_Taylor_dit_Le_mécano a dit:
Sep 15, 2014
La patiente mâche, très régulièrement du coté gauche, un crayon, un stylo ou parfois un capuchon, pour évacuer son stress.
L’objet est bloqué entre les molaires et ressort coincé entre les canines hautes et basses => par conséquent , la canine du haut est arrondie et s’échappe de la bouche (poussée par le stylo = force résultante de l’effort de mastication) quand celle du bas a plutôt tendance a pousser vers l’intérieur.
==> Inspecter la trousse …
Cdlt