Madame Cristina L. 42 ans se présente à la consultation en avril 2012, adressée par son chirurgien dentiste pour des difficultés à ouvrir la bouche. La patiente précise que ces difficultés existent depuis 20 ans avec des périodes de relative amélioration. Son problème principal est la difficulté quelle à pour serrer lors de la mastication. Des douleurs apparaissent dans les masséters droits, d’ailleurs sensibles à la simple palpation. La motilité mandibulaire est limitée (ouverture 28mm) mais sans douleur aiguë. L’entretien clinique nous apprend que la position de sommeil est ventrale; la patiente à observé que si elle place sa main sous la mandibule pendant la nuit elle souffre de la mâchoire au réveil. Il n’y a pas d’historique de bruits articulaires ni de problèmes articulaires. La mandibule n’est pas vraiment détendue mais cependant manipulable. Un décalage apparaît entre l’OIM et la position détendue. Ce décalage est d’autant plus frappant que si l’on demande simplement à la patiente de serrer les dents (en OIM), elle se place en bout à bout, soit vers la droite soit vers la gauche, sans contacts postérieurs.
Nous envisageons deux hypothèses diagnostiques: la première impliquant la position de sommeil (contrainte prolongée qui serait à l’origine de spasmes), et la seconde se rapportant au décalage entre l’OIM et la position mandibulaire détendue ( la mandibule serait crispée pour éviter un défaut de centrage et de calage).
Notre première recommandation est donc de modifier la position de sommeil. La patiente revue après 4 semaines signale une légère amélioration; mais la limitation reste de l’ordre de 30 mm. Nous mettons donc en place une orthèse nocturne en ORC du jour. La patiente part en Espagne pendant l’été et nous recontacte en septembre 2012. L’amélioration est nette en terme de confort et de d’atténuation des douleurs, mais l’ouverture buccale reste limitée. Nous observons cependant l’apparition d’un décalage entre l’OIM établie sur l’orthèse et la nouvelle ORC du jour. Nous interprétons cette différence comme le résultat de la détente musculaire obtenue par le port de l’orthèse. Nous équilibrons cette orthèse dans la situation de mandibule détendue.
L’opération est refaite sur plusieurs séances ce qui aboutit à augmenter le surplomb apparu au fur et à mesure des réglages jusqu’à ce que la patiente nous fasse part de la disparition complète des douleurs. Nous observons dans le même temps une l’ouverture buccale sans difficulté de 40mm. La position d’OIM fixée sur la gouttière correspond à la position mandibulaire détendue ( que nous considérons comme l’ORC pour ce cas). Les choses sont donc stables.Lors de la visite de contrôle en mars 2013 la confirmation de la disparition complète des douleurs nous est apportée. L’ouverture buccale est de plus de 45mm sans aucune difficulté. Les mouvements latéraux sont parfaitement normaux. La position d’ORC est maintenant bien fixée, la mandibule parfaitement détendue. Cette position mandibulaire est en net décalage avec la position donnée comme celle de fermeture en OIM.
Compte tenu du recul clinique peut-on conclure que la patiente souffrait de myosapsmes des muscles élévateurs?
Peut-on dire que ce myospasme était lié au décalage entre l’OIM (aléatoire) et la position qui aurait due être celle de la mandibule pour être détendue?
Faut-il engager une équilibration occlusale pour rétablir une OIM stable et centrée dans la position mandibulaire détendue?
Pour notre part nous avons demandé la patiente à ne porter son orthèse qu’une nuit sur deux. Nous la reverrons dans 3 mois.
Pensez vous que l’amélioration sera maintenue?
6 commentaires
jyemmepe a dit:
Avr 4, 2013
Ca cas est très intéressant ! La position obtenue par la gouttière me parait être ce que Jeanmonot appelait position myocentrée. Et effectivement on peut penser qu’il s’agissait de myospasmes. Mais l’OIM qui semble être à l’origine de ce DAM n’est quand même pas « aléatoire »; la position relative des dents qui « dicte » cette OIM résulte de la croissance et de la fonction. Peut être la patiente a-t-elle eu un traitement orthodontique qui effectivement dans ce cas pourrait avoir amené l’occlusion dans une position erronée . Les positions de sommeil en exerçant des forces sur la mandibule peuvent très bien être facteur déclenchant d’apparition de douleurs.
Après plusieurs mois de recul avec la gouttière, je tenterais personnellement de « caler » la position obtenue par des collages de composites.
Chang Mara a dit:
Juin 6, 2019
Bonjour,
Je sais que ce n’est pas le rôle de ce blog de mettre en relation les professionnels et patients, mais vos propos m’inspirent confiance… Accepteriez-vous vous de m’indiquer les coordonnées de votre cabinet ou celles de celui d’un confrère ?
carmen touchina a dit:
Avr 5, 2013
1- Je ne sais pas si la position stable et asymptomatique obtenue après des mois de gouttière correspond à ce que Jeanmonod appelait la relation myocentrée mais le concept est le même. C’est le concept qui est important: obtenir une position mandibulaire détendue, reproductible, asymptomatique. Le nom est toujours source de discorde ou de querelles d’écoles. Autrefois je parlais d’ORC. Mais là encore on introduit des notions troubles et complexes. Je préfère maintenant parler de position mandibulaire détendue. Encore une fois peu importe le nom dont on désigne la position ce qui compte c’est qu’elle soit reproductible, détendue et asymptomatique. Fonctionnelle donc.
2- La patiente n’a pas eu de traitement ODF
3- Caler par des composites la position mandibulaire obtenue me semble techniquement très difficile. Toutes les dents sont impactées par la modification de position mandibulaire. Faites vous des composites de laboratoire ou des composites au fauteuil?
carmen touchina a dit:
Avr 6, 2013
Je reviens sur une autre de vos interrogations à savoir comment expliquer l’OIM. J’ai l’impression en vous lisant que l’OIM est à priori « bonne » et qu’elle pourrait subir un certain nombre de désorganisations (déglutition, ODF, etc…)Je partage votre réflexion selon laquelle des causes multiples déplacent les dents et donc l’OIM. Mais dans mon analyse de la situation je pense qu’il vaut mieux toujours partir de la position mandibulaire, indépendemment de l’OIM: comment se place la mandibule quand elle est détendue? A partir de cette observation on voit si les dents établissent ou non une OIM fonctionnelle. De même on voit si les pièces articulaires sont correctement ou non coaptées. Autrement dit, je crois que notre travail consiste à faire en sorte que dans la position mandibulaire asymptomatique, détendue et reproductible, il puisse y avoir une OIM fonctionnelle et des relations intra-articulaires acceptables pour une motilité normale.
Il y a une sorte de paradoxe tissulaire: les tissus durs (dents et cartilages) imposent certaines positions mandibulaires; mais ce sont les tissus mous (muscles) qui, quand leur adaptation n’est plus possible, déclenchent les pathologies.
jyemmepee a dit:
Avr 6, 2013
Je vous rejoins tout à fait sur le but de notre travail : obtention d’une OIM fonctionnelle permettant des « bonnes » relations intra-articulaires.
Comment expliquer le paradoxe tissus durs/tissus mous que vous évoquez ?
Quand les positions dentaires sont modifiées par de l’orthodontie, et en présence d’arcades avec des malpositions acquises suites à édentations, divers travaux prothétiques etc… on peut comprendre le décalage entre la position d’OIM et une autre position mandibulaire détendue, asymptomatique. Mais en présence d’arcades a priori « intactes », quelle est l’origine du décalage ?
La fonction ou plutôt l’hyper fonction (mâcheurs de chewing-gums), les parafonctions, les dyspraxies linguales, des attitudes de posture mandibulaire ?
Dans le cas précis que vous présentez, la patiente n’a-t-elle pas une déglutition langue basse qui justement propluse la mandibule ? Avec le port de la gouttière, la position mandibulaire est plus reculée justement …
Quant aux composites pour « caler » l’occlusion, bien entendu cette possibilité est limitée en fonction de l’importance des corrections à apporter, mais parfois des collages sur les canines et/ou prémolaires (dans la mesure du possible bien sur), rendent service, et surtout du fait de la possibilité de les déposer, permettent de tester la validité du traitement de façon relativement simple. Pour répondre à votre question, j’ébauche mes calages sur modèles montés en articulateur et je les colle ensuite en bouche ce qui facilite grandement la mise en place et l’équilibration.
carmen touchina a dit:
Avr 7, 2013
Vous posez la bonne question.
« Quand les positions dentaires sont modifiées par de l’orthodontie, et en présence d’arcades avec des malpositions acquises suites à édentations, divers travaux prothétiques etc… on peut comprendre le décalage entre la position d’OIM et une autre position mandibulaire détendue, asymptomatique. Mais en présence d’arcades a priori « intactes », quelle est l’origine du décalage ? »
Il y a de nombreuses raisons qui peuvent expliquer un décalage dento-dentaire entre OIM et contacts occlusaux en mandibule détendue (alors qu’aucune intervention de soin n’a eu lieu): croissance, parafonctions ou dysfonctions linguales, habitudes posturales particulières, compensations par la mandibule de désordres oculomoteurs ou posturaux…)Et dans ces cas là il y a en général une incertitude sur l’OIM si on veut bien y regarder de plus près, objectivable par un surplomb canin unilatéral d’un coté ou de l’autre. C’est l’indice d’une OIM aléatoire, variable, non détectée parcequ’on ne regarde pas d’assez près, mais que les prothèsistes connaissent bien. Et c’est la raison qui explique nombre de rectifications occlusales lors de la pose de prothèses fixées (ou d’échecs implantaires).
Merci pour vos précisions concernant les composites. Je trouve pour ma part que c’est une solution très difficile à mattre en oeuvre.