Melle Solène B. 24 ans consulte de la part de son chirurgien dentiste, « pour le craquement des deux articulations ». La patiente elle même ne se plaint de rien mais s’inquiète des bruits articulaires qui augmentent avec le temps. En fait il ne s’agit pas de craquements mais de « crépitations », parfaitement audibles quand la patiente, de l’autre coté du bureau lors de l’entretien clinique, nous fait une démonstration. Cette jeune patiente, assez passive et répugnant à se plaindre, a bénéficié d’un traitement ODF (sans extraction de dents de sagesse), mais ne décrit ni trauma cranio-facial, ni posture de sommeil, de travail, ou de loisir particulière. Une certaine laxité des doigts est observable et Mell. B. dit également « craquer » des poignets et des coudes. Historiquement, la patiente décrit des années de « claquements » après le traitement ODF, avec épisodes de blocages. Aujourd’hui elle observe une limitation d’ouverture buccale suivie, si elle force l’ouverture, de crépitations bilatérales.
L’examen clinique met en évidence une sensibilité à la palpation du pôle externe de l’ATM gauche. L’ouverture mandibulaire se fait à peu près normalement jusqu’à 30 mm, puis se poursuit jusqu’à 50 mm, difficilement, en louvoyant et en produisant des crépitations fortes, bilatérales, (mais surtout à droite). La latéralité gauche est limitée à 6 mm, celle de droite à 10 mm avec douleur articulaire à gauche.
La manipulation mandibulaire ne met pas en évidence de décalage entre ORC et OIM mais la situation occlusale antérieure est étonnante. Les dégradations des incisives peuvent très difficilement être mises en relation d’opposition ; autrement dit ce n’est pas par attrition ou abrasion que ces lésions se seraient produites. La patiente est catégorique : ce n’est pas un trauma qui aurait dégradé ses dents antérieures. Reste l’hypothèse de l’érosion chimique. En fait la morphologie des usures et l’élimination des facteurs acides excluent l’hypothèse d’érosion.
Un examen scanner des ATMs est réalisé. Il met en évidence une atteinte arthrosique de l’articulation droite en particulier, exceptionnelle chez une jeune patiente de 24 ans et ne se plaignant par ailleurs d’aucune atteinte rhumatismale.
Quel diagnostic étiologique peut-on imaginer pour cette pathologie ATM :
1- Une atteinte localisée, précoce, d’arthrose temporo-mandibulaire ?
2- Une atteinte traumatique consécutive à une parafonction mandibulaire ? En effet, ne peut-on pas imaginer l’existence des positions mandibulaires parafonctionnelles, inconnues de la patiente et non retrouvables par les différentes manipulations mandibulaires que nous lui faisons subir, qui seraient responsables des contacts antérieurs destructeurs ? Et si tel était le cas, ces positions parafonctionnelles mandibulaires seraient-elles en cause dans la dégradation des ATMs ?
3- Qu’apporterait la mise en place d’une orthèse orale ?
21 commentaires
Gtoucompri a dit:
Jan 30, 2013
J’enverrais chez le rhumato pour éliminer une polyarthrite débutante localisée aux ATM. On commence par ça pour éliminer une pathologie grave nécessitant un traitement adapté.
carmen touchina a dit:
Fév 1, 2013
Oui c’est à cela que j’ai pensé avec la première interrogation de mon post. Le rhumato a fait les tests et exclu cette hypothèse.
Je trouve parfois des positions mandibulaires parafonctionnelles très excentrées dont le patient n’a pas conscience mais qui mettent indéniablement en opposition des facettes d’abrasion réciproques. Mais dans ce cas rien ne me permet d’expliquer les usures antérieures. Je suis très frustrée de cette incapacité diagnostique. Au secours.
gtoucompri a dit:
Fév 1, 2013
profil psychologique de la patiente, parafonction, ouverture de cannettes de bière avec les dents? utilisation inadéquate des dents antérieures comme outil sécant?
les images des ATM sont assez curieuses tout de même, les arthroses à 24 ans à ce que je sache, ça n’existe pas en dehors peut-être d’une maladie générale, à voir avec le rhumato.
pour moi l’orthèse n’apporterait rien.
je reverrais la patiente dans 6 mois.
Quel test a fait le rhumato, en général on fait un bilan sanguin à la recherche d’une maladie rhumatologique, syndrome inflammatoire, recherche d’anticorps spécifiques etc… le rhumato est-il compétent? il y a de tout comme dans notre spécialité.
carmen touchina a dit:
Fév 1, 2013
A priori je n’ai pas de raison de douter de la compétence du Rhumato: je pense qu’il a du rechercher le facteur rhumatoïde et la vitesse de sédimentation. Il doit revoir la patiente dans quelques mois si je le demande.
Pour la traumato non, rien je nr trouve rien: pas de bouteille de bière, pas de choc…c’est pour cela que j’ai pensé aux antagonistes. J’ai pourtant envie d’utiliser une orthèse de stabilisation, juste pour voir…à titre d’aide au diagnostic
Gtoucompri a dit:
Fév 1, 2013
Dans la mesure où elle ne se plaint que de bruits, je ne vois pas ce que pourrait apporter une gouttière, même sur le plan diagnostic, disparition des bruits, ça m’étonnerait que ça change, s’il existe une lésion des disques ça ne changera rien, les lésions radiologiques d' »arthrose », ca ne changera rien. Je pense que si vous vouliez mettre en évidence l’état du disque, une IRM pourrait être indiquée, mais à part dire que le disque présente des lésions, ça ne changera rien au diagnostic et à la conduite thérapeutique.
Le seul intérêt de faire une gouttière, c’est de proposer quelque chose à la patiente si elle a besoin que l’on s’occupe d’elle, si la gouttière est bien équilibrée, en décompression, ça peut peut-être soulager les ATM si elle serre les dents la nuit, et si l’on y croit diminuer les bruits, ce qui m’étonnerait beaucoup.
lbfg a dit:
Fév 2, 2013
Bonjour, votre cas m’interpelle beaucoup. Avant de dire à quoi je pense très fort, avez-vous demandé des photos souriantes de la patiente vers 15 et 20 ans pour voir l’ancienneté des lésions des bords libres ? Peut-on espérer (elle est jeune) retrouver les moulages d’ortho ? Les radios surtout !!! ? Quid des autres dents et surtout de la 26 qui semble non fonctionnelle et en cours de traitement ? Etiologie ? POuvez-vous refaire une photo des trajets en diduction et en propulsion objectivés ? Quelle est son activité professionnelle ? Comment dort-elle ? Sports ? Onichophagie ? Pour le reste, l’orthèse DOIT être employée en urgence non pour diagnostiquer (même si cela peut aider) mais pour SOULAGER au maximum les ATM car même en présence d’un syndrome rhumatoïde, l’espérance fonctionnelle est engagée sur le court/moyen terme. On vous reprocherait de ne pas l’avoir fait (rapport cout/bénéfice supposé très favorable). A vous lire en espérant répondre rapidement à vos interrogations. Confraternellement,
carmen touchina a dit:
Fév 3, 2013
Pour gtoucompri je me demande si une orthèse ne permettrait pas de mettre en évidence l’hypothétique parafonction ou ne ferait pas prendre conscience à la patiente de mouvements mandibulaires qu’elle n’aurait pas remarqués.
Pour LBFG, non je n’ai pas de photos de la patiente vers 15-20 ans et c’est une très bonne idée. Je vais les lui demander. Idem pour les moulages d’ortho et les radios. Cette patiente ne fait pas de sport, n’est pas onychophage et dort sur le dos. Je vais faire les photos que vous souhaitez.
Pour ce qui est du recours à l’orthèse votre opinion me trouble et j’aimerais vous demander si vous avez des références de travaux scientifiques qui montrent qu’une orthèse (quelle orthèse?)soulage des ATMs atteintes d’un « syndrome rhumatoïde ». Si vous n’avez pas de référence bibliographique peut être avez vous une expérience clinique qui pourrait m’aider. Car effectivement, même si la douleur n’est pas la plainte principale, il me semble indispensable de limiter l’atteinte articulaire. L’occlusion est-elle en cause? Si je ne sais pas répondre à cette question, en général, je suis très prudente. Merci de vos observations et remarques très intéressantes.
lbfg a dit:
Fév 3, 2013
Bonsoir, une grande majorité d’auteurs (Okeson, Unger, Orthlieb, Rozenzweig, Gleb, Maïnetti…) versent au consensus qu’une gouttière occlusale en RC légèrement indentée et à port nocturne de plusieurs mois minimum est parfaitement adaptée au traitement palliatif des dégénérescences arthrosiques, afin d’éviter sinon retarder l’ankylose. La douleur n’est, encore une fois, qu’un signe de décompensation et d’aggravation soudaine. Tant mieux qu’elle soit absente, d’où l’idée de rechercher l’ancienneté des lésions et de leur étiologie. Après, on (vous !) verrez en fonction des éléments recueillis.
Gtoucompri a dit:
Fév 4, 2013
Est ce que les images du scan ont été montrées a un rhumato compétent . A 24 ans ce n’est pas de l »arthrose mais vraisemblablement une maladie rhumatismale à déterminer. Avec précisions. Donc il fait d’abord faire un diagnostic avant de deviser sur l’apport d’une orthese.
Dr SPLINT a dit:
Fév 4, 2013
Bonjour , j’ai eu un cas similaire. Il s’agissait d’une jeune fille de 23 ans avec une atteinte arthrosique des ATMs. Je l’ai adressée à deux Rhumato car j’avais un doute sur les conclusions du premier. Mais le deuxième a confirmé l’atteinte localisée.
Pour patiente décrite par CARMEN TOUCHINA ,je pense qu’il s’agit des conséquences d’un épisode de « clenching » particulièrement intense en bout à bout incisif. Les capacités de tolérances et d’adaptations aussi bien dentaires (fracture des bords incisifs) et articulaires ont été largement dépassé (voir les travaux de Stegenga sur l’arthrose). Il y a peut etre eu une période de vie difficile.
Quant à ma patiente; elle porte une orthèse de « contention articulaire » (qui permet une décompression des ATM). Le cas est stabilisé.
Gtoucompri a dit:
Fév 4, 2013
Pour splint.
Pourriez vous détailler votre orthèse de contention articulaire .
Confection appui total ou postérieur? En diduction et propulsion. Supérieure ou inférieure …
Que pensez vous de l’état du disque dans le cas de touchima.
Merci
DR SPLINT a dit:
Fév 5, 2013
Bonjour;
L’orthèse de contention articulaire est similaire a celle decrite dans le cas clinique 029; par ELISA. Il s’agit d’une orthèse prévue pour une decompression de l’ATM en provoquant une legère propulsion mandibulaire, vers le bas et vers l’avant.
DR SPLINT a dit:
Fév 5, 2013
suite;
à mon avis le disque n’est pas récupérable. Le plus important serait de protéger l’ATM, d’éviter les surcharges et l’inflammation
cordialement
carmen touchina a dit:
Fév 6, 2013
J’avoue que l’opinion de LBFG même si elle n’est pas appuyée sur un bibliographie incontestable me semble pétrie de bon sens. Elle rejoint d’une certaine façon celle de Dr Splint qui considère qu’une orthèse pourrait avoir un rôle de « contention » et de « décompression » articulaire. Je partage ce point de vue et je sais (cliniquement) qu’une orthèse qui permettrait simultannément à la mandibule de se poser d’une façon reproductible, sans effort, dans une position non contraignante pour l’ATM atteinte, et qui, de plus serait légèrement surélevée du coté des destructions tissulaires, conduirait vraisemblablement à une limitation des contraintes mécaniques. C’est de l’orthopédie.
Mais cela ne nous donne pas le diagnostic ni le pronostic. Et la patiente ne se plaint pas!!
Merci de vos réflexions constructives qui vont orienter mon attitude thérapeutique.
gtoucompri a dit:
Fév 6, 2013
bonne réflexion de Touchima, pas de diagnostic.
comment fait Splint pour mettre le patient en légère propulsion, par le biais d’une bielle, ou endentation dans la gouttière, dans ce cas je n’y crois pas, le patient ne peut pas rester en propulsion active la nuit, la mandibule recule de toutes les façons.
Dr SPLINT a dit:
Fév 7, 2013
Il n’y a pas de diagnostic « étiologique », mais le diagnostic médical est un arthrose de l’ATM. Le pronostic est réservé, le patient doit y etre attentif, une surveillance médicale régulière est conseillée.
L’orthèse que j’utilise est constituée de deux gouttières maintenues en légère propulsion (environ 2-3mm). La position nocturne est donc « contenue » par ce moyen.
Aujourd’hui, on commence à trouver des études sur les effets favorables sur les TTM par des orthèses appliquées aux SAHOS.
Techniquement, j’utilise un jig pour caler la position, puis une pâte silicone dans les régions latérales pour la fabrication d’une clé d’occlusion.
Gtoucompri a dit:
Fév 7, 2013
Merci à Splint pour ces précisions techniques. Donc il s’agit de deux gouttière solidarisées et fixées l’une a l’autre et non de deux gouttières munies de Bielle comme en ODF dans l’appareil de Herbst ou dans les OPM utilisées dans les apnées du sommeil. Le sujet est donc en propulsion fixe de 2-3 mm. Le Jig est réalisé en résine auto je suppose . C’est astucieux pour quantifier et apprécier la propulsion et l’espace entre les arcades ça qui est très difficile a réaliser avec une cire .
Merci .
Dr SPLINT a dit:
Fév 7, 2013
Pour plus de precision, car je me suis mal exprimé: les gouttières sont solidarisées par des bielles non coulissantes (type scheu-dental ou OCA). Elles ne sont pas fixées entres elles. Un petit degré de liberté est permis, ce qui rend le dispositif plus confortable. Le jig est en resine auto.
Gtoucompri a dit:
Fév 7, 2013
Merci à Splint pour ces précieuses précisions qui me permettra de mettre en œuvre cette thérapeutique qui m’a l’air très judicieuse .
Les bielles dont celles utilisées pour la confection des ortheses d’avancée mandibulaire dans les APNEES et RONFLEMENTS Je vois trés bien car je demande toujours des plans en occlusion pour soulager les ATM et ne pas provoquer une. compression du condyle par un simple appui anterieur dans ce type de traitement où sont utilisées ces types de Bielle. Merci encore
Tsahoui a dit:
Mai 1, 2013
Les attritions antérieures sont purement mécaniques et correspondent à des déplacements inconscients de la mandibule souvent la nuit et au moment des effets
Il faut juste aller chercher et trouver la position mandibulaire dans laquelle les facettes maxillaire et mandibulaire s engrènent’…. Tests à l’appui
Carmen Touchina a dit:
Mai 2, 2013
Tsaoui il faut aller lire la suite du cas sur le post: cas clinique 046 suite. Ce n’est pas toujours évident de retrouver à l’état vigile des positions mandibulaires du sommeil. Il faut être très attentif et prendre son temps. merci de votre passage sur ce blog.