Madame Véronique V. 59 ans est adressée par son chirurgien dentiste à qui elle a fait part de son inquiétude à la suite de l’indication d’une intervention chirurgicale posée pour ses ATMs. Le courrier du praticien précise : « La patiente présente depuis longtemps des craquements par intermittence, des épisodes de blocage des ATMs, des douleurs au niveau de l’oreille gauche. Un diagnostic de luxation discale irréductible de son ménisque gauche a été posé et …une intervention lui a été proposée. Pouvez vous nous donner votre avis et peut-on envisager une solution moins radicale ? »
La patiente produit ses comptes rendus d’examens scanner et IRM. Rien d’anormal au scanner. Pour l’IRM, le radiologue note : « Luxation méniscale antérieure irréductible à gauche, associée à un remaniement hétérogène du condyle dont la taille est diminuée globalement par rapport à son homologue droit. »
L’entretien clinique nous permet de prendre note que la patiente a subi il y a longtemps l’extraction des dents de sagesse sous AG et que les suites ont été très douloureuses pendant de longs mois. Madame V. se dit stressée. Elle ne met pas en relation l’apparition des blocages et douleurs, il y a un an, avec un évènement particulier. L’observation de son visage met en évidence une réelle asymétrie, la joue gauche étant plus volumineuse.
La palpation des ATMs et l’examen de la motilité mandibulaire confirment la luxation discale irréductible (LDI), et trouvent une discrète luxation discale réductible à droite. L’amplitude d’ouverture est de 30 mm (sans déviation) et les latéralités de 10 mm. La palpation musculaire trouve des masséters gauches hypertrophiés par rapport à leurs homologues de droite. La mandibule est très crispée, en particulier les masséters droits (le test de Krogh Poulsen indique un problème musculaire à droite). La manipulation permet cependant d’objectiver une position d’ORC différente de celle de l’OIM, avec une prématurité canine à droite, en situation inversée. Cette situation conduit la mandibule vers la droite lors du serrage. (stress)
Compte tenu de la situation clinique de la patiente, et en particulier l’incertitude étiologique quant aux douleurs de l’oreille gauche (la LDI à gauche est-elle plus à mettre en cause que le problème musculaire à droite ?) il semble inadéquat de conseiller une intervention chirurgicale sur les ATMs, d’autant que la LDI est sans doute très ancienne. La patiente exprime un grand soulagement en voyant s’éloigner l’arthroplastie à laquelle elle se croyait condamnée. Notre proposition est de chercher à mettre en évidence une éventuelle relation entre les difficultés musculaires (contractures à droite et hyper-développement à gauche) et la situation occlusale caractérisée par une relation inversée et bloquée entre 13 et 43, (avec prématurité).
Une orthèse orale est installée dans la position d’ORC du jour puis équilibrée en deux séances pour aboutir à une position mandibulaire détendue et stable.
Revue après un mois, la patiente présente une ouverture buccale de 40 mm. Le masséter gauche est dégonflé. Les douleurs cervicales et de l’épaule gauche ont disparu. Après 2 mois le tableau est maintenu.Deux questions pour solliciter vos commentaires :
1- Quant il existe un problème musculaire et un problème articulaire, n’est-il pas hasardeux de les considérer comme obligatoirement liés ? Existe-t-il une priorité d’intervention et selon quels critères ?
2- La situation occlusale de canines inversées peut elle être incriminée dans la pathologie musculaire ?
3- Quelles sont les indications d’arthroplastie de l’ATM aujourd’hui ?
9 commentaires
N.CHATEAU a dit:
Jan 17, 2013
Permettez moi d’émettre un avis personnel. A-t-on mis en évidence à l’anamnèse une parafonction ( serrement) ? On peut le penser, Patiente qui se dit stréssée, myalgie ( à droite), hypertrophie masseterine gauche…
Ce qui me fait répondre à vos 3 questions :
1 Je pense que dans ce cas, le probléme musculaire est dû à la parafonction ( Trop d’usage), mais l’occlusion complique les choses, si je puis dire, en créant mécaniquement une compression controlatérale de l’articulation. Un peu comme le test de Krogh-Poulsen le recherche ( dans ce cas de mise en évidence d’arthralgie à G, baton à droite et douleur à G). En résumé, avec la parafonction sans l’occlusion inversée, on aurait juste une myalgie. Avec l’occlusion inversée et sans parafonction, on aurait peut-etre, uniquement peut-etre, une arthralgie contro-latérale à l’inversion. Il me semble donc que les 2 sont liées, mais que la cause principale est, à mon avis, la parafonction. Par contre, il est souvent plus facile d’améliorer l’occlusion que de modifier le comportement d’un patient. D’autant plus que nous sommes des spécialistes des dents et moins de la psychologie.
2 Ce que je dis plus haut me fait bien sûr répondre « non, mais dans la pathologie articulaire oui »
3 Il n’y a, à mon avis, quasiment plus d’indication d’arthroplastie, au regard du rapport amélioration/conséquences secondaires. On peut éventuellement dans certains cas, envisager une arthrocentèse ( lavage des compartiments articulaires pour éliminer les céllules inflammatoires )
Enfin , ce n’est que mon avis
Jeannine a dit:
Jan 17, 2013
Je partage totalement l’avis émise par N. Chateau. Les explications qu’il donne pour le point 1 sont parfaitement justes. C’est effectivement le stress qui est à l’origine des serrements fréquents. Et l’inquiètude provoquée par l’indication (honteuse) d’une arthrographie aggrave la tendance au serrement dentaire. C’est dans ce contexte effectivement que la prématurité canine et l’occlusion inversée s’expriment négativement.
Ces cas (avec des prématurités sans doute moins photogéniques) sont très fréquents. Les épisodes de stress (difficultés familiales ou professionnelles) aggravent les douleurs et limitations. Les orthèses de reconditionnement neuro-musculaires régées en ORC, sont un moyen simple de vérifier le diagnostic. Et je partage l’avis de N. Chateau, il est plus facile et plus rapide de traiter le problème occlusal que le fond psychologique pour lequel les résultats seront aléatoires.
Je pense même que ces cas (encore une fois très nombreux)constituent une des situations dans lesquelles le chirurgien dentiste peut rendre facilement de très grands services. Encore faut-il accepter que l’occlusion puisse être causale dans les DAMs. Ce que de trop nombreux « scientifiques » contestent sans amener la moindre preuve.
N.CHATEAU a dit:
Jan 17, 2013
Ravis que vous soyez de mon avis. Par contre, je vous trouve assez péremptoire et injuste dans votre dernier paragraphe. Personne ne peut remettre en cause dans ce cas, la responsabilité occlusale dans l’arthralgie à Gauche, mais personne ne peut non plus accuser l’occlusion dans la myalgie, dans ce cas clinique, cette dernière étant causée par la parafonction dont l’origine est psychique ou tout au mon cérébrale. L’occlusion est un facteur aggravant dans ce cas , mais pas le facteur principal.Il serait dommage dans chaque « sensibilité » d’etre aussi dogmatique et tranché .Je pense sincérement que la vérité se trouve souvent quelque part entre le tout occlusal et le tout psychique. Par contre où met-on le curseur, cela je n’en sais rien.
JLM44 a dit:
Jan 17, 2013
Y-a-t-il eu des radiographies des ATM ? Peut-on,eventuellement les voir si informatiquement ce n’est pas trop compliqué? Je vais être polémique en vous disant que l’occlusion de la canine peut ou non être en relation avec les douleurs musculaires et éventuellement avec des pathologies articulaires.
Ce n’est pas demain(idée d’immédiateté),je pense que nous aurons « scientifiquement »réponse à cette question mais soyons positifs un jour peut-être.C’est « l’auberge espagnole »!Toute la SCIENCE a commencé par l’empirisme.N’avez-vous jamais fait des équilibrations occlusales « banales »,comme moi, de très nombreuses fois,et voir (constaté) tous les signes cliniques aussi bien musculaires qu’articulaires disparaitre?Comme nous sommes un TOUT je dirais que « tout est dans tout et réciproquement »!! Je pense comme Jeanine et N.Chateau.Comment séparé le psychisme du somatique ? Excusez mes élucubrations prétentieuses!
Splintman a dit:
Jan 17, 2013
La remarque de N. Chateau mérite que l’on s’y arrête. Si je comprends bien vous pensez que la parafonction est la cause et que l’occlusion est un facteur aggravant. Soit. Qu’est ce qui vous permet de dire cela plutôt que « l’occlusion est la cause et la parafonction le facteur aggravant »? Franchement rien. Il n’y a aucune étude scientifique qui se risquerait dans un sens ou dans l’autre pour la bonne raison que c’est l’ensemble des deux facteurs (et sans doute d’autres non listés ici) qui sont en cause pour que le DAM s’exprime. Je maintiens donc, sans avoir le sentiment d’être péremptoire, que traiter la prématurité soulage le patient.
Si vous maintenez votre affirmation pouvez vous me dire ce qui vous permet de dire que c’est la parafonction qui est la cause plutôt que l’occlusion?
Merci aussi à JLM44 de son intervention. Non je n’ai pas d’imagerie des ATMs. Par ailleurs vous avez parfaitement raison de contester l’idée que l’inversé d’occlusion canine n’est pas à coup sûr responsable des désordres musculo-articulaires observés. C’est parceque je partage cette interrogation que j’ai posé la question à la fin du post. Cette question me semble importante parce qu’on a tous en tête les travaux de Pullinger et Seligman qui identifient l’inversé d’occluion comme un des facteurs occlusaux le plus souvent corrélé avec des DAMs. On pense aussi aux travaux de Slavicek qui souligne le rôle pathogène pour les ATMs des l’inversés d’occlusion de la dent de 6 ans. C’est vrai que je rencontre souvent cette situation. Alors je m’interroge et je vous pose la question. Et je vous remercie de vos interventions.
Je partage aussi votre avis selon lequel ce n’est pas demain que nous aurons des preuves scientifiques pour ce qui concerne l’occlusodontologie.
Autre point: peut-on, faut-il, séparer le psychisme du somatique? Cette question, à mes yeux, en ce qui concerne l’occlusion, ne se pose pas car nous n’avons aucun moyen d’y répondre. Je vous propose une autre façon de voir les choses sachant que les fonctions mandibulaires et les fonctions psychiques sont totalement intégrées. Ne peut-on pas se contenter d’observer les conséquences de cette intégration? Et j’en reviens à la première observation de N. Chateau: nous ne saurons jamais si c’est le psychisme (par la parafonction) qui serait responsable du DAM plutôt que la somatique (les conditions occlusales). Je conçois donc mon travail comme la démarche qui permet de valider (ou non) le fait qu’une intervention occlusale atténue durablement (ou supprime) les symptômes de DAM. Rien de plus mais rien de moins. L’équilibration occlusale (ne serait ce que sur une orthèse) si elle répond au désordre, permettra de soulager sans se préoccuper des facteurs psychiques, de toute façon hors de notre portée.
Quand un parodontologiste élimine la plaque dentaire chez un diabétique il ne soigne pas le diabète mais il soulage les symptômes d’un parodonte fragile.
Quand j’équilibre l’occlusion d’un patient stressé je ne soigne pas son stress mais je soulage les symptômes de son appareil manducateur.
Savin a dit:
Jan 21, 2013
Merci Splintman pour ces précisions. Dans un cas comme celui là je commence par poser une gouttière lisse mandibulaire permettant de despasmer les muscles masicateurs. Je précise aussi et je prend le temps pour lui expliquer que son stress est un facteur aggravant sur sa pathologie et que n’étant pas psychologue je ne peux l’aider sur ce point. Si elle prend conscience que le fait de serrer les dents à longueur de journée et de nuit aggrave son cas, on peut penser qu’on travaillera sur un terrain préparé. Eb cas de deni du psy il me parait imossible de traiter un cas comme celui énoncé plus haut.
Splintman a dit:
Jan 22, 2013
Merci Savin pour votre position. Je suis en accord avec vous quand vous dites que nous ne sommes pas psychologues. Mais ne croyez vous pas que nous puissions aider nos patients à prendre conscience qu’ils serrent ou non les dents? Je pense en particulier que la technique de Rozencweig, avec ses ronds verts, est particulièrement adaptée à notre exercice. Nous restons dans l’odontologie (au sens large), opératifs, et nous aidons vraiment les patients.
Par ailleurs je ne saisis pas exactement ce que vous appelez « déni du psy ». Voulez vous dire que le patient refuserait de comprendre que son stress est impliqué dans son DAM, ou voulez vous dire que le patient refuserait de consulter un psy?
Savin a dit:
Jan 22, 2013
Je voulais simlement souligner qu’il est important que le patient soit conscient que le stress est souvent un facteur aggravant dans son DAM et que nous serons bien limités dans notre thérapeutique s’ il refuse cette éventualité. Dans certains cas l’aide d’un psy sera nécessaire, voire capital, mais on s’écarte du sujet. D’ailleurs il me semble qu’un nouveau cas a déjà été publiée… à très bientôt
DUDU a dit:
Jan 14, 2015
Je lis ce jour vos commentaires sur la gestion du stress dans le traitement des SADAM. Je pense que de refuser d’intégrer dans notre exercice la gestion du stress et donc du CLENCHING de notre patient est une erreur fondamentale. La constitution d’une équipe pluridisciplinaire permet de palier à toutes les dérives thérapeutiques inutiles et/ou invalidantes. Je travaille avec un médecin acupuncteur réflexologue compétent à soigner les désordres centraux à type de blocage inter hémisphérique et sa corollaire l’hypertonie musculaire latéralisée, les déséquilibre neuro-végétatif etc…
La gouttière de relaxation neuro musculaire n’est qu’une canne et non un traitement de la cause première…