Madame Sabine C. 40 ans, infirmière, consulte pour un inconfort buccal qui se traduit par des brûlures de la muqueuse, en particulier au niveau du palais, et des « tiraillements » qui concernent surtout la lèvre supérieure. Elle parle de « douleurs des quatre incisives maxillaires ». La patiente décrit aussi des crispations du visage particulièrement gênantes la nuit.
L’entretien clinique signale une patiente très stressée, dans une situation psychologique fragilisée et très demandeuse d’aide: « il n’y a plus que vous pour me sortir de là ». Arrivée depuis deux ans dans la région, elle fait un parallèle entre un décès, son déménagement, son stress, et l’apparition des « douleurs maxillaires ». Elle a consulté un orthodontiste qui lui a proposé un traitement ODF et chirurgical en lui parlant de « terrain SADAM ». L’ODF a été faite, mais pas la chirurgie (2010). C’est à partir de ces interventions que les symptômes seraient devenus insupportables. Un praticien lui aurait expliqué qu’une gouttière pourrait suffire. La gouttière a été faite, souple, et a apporté un soulagement « énorme » .
Cependant face aux douleurs résiduelles elle a demandé à son chirurgien dentiste comment être soulagée. C’est lui qui nous l’adresse.L’examen clinique montre une motilité mandibulaire normale, sans limitation, ressaut ou bruit. Aucune douleur n’apparaît à la palpation des muscles ou des articulations. La mandibule est décontractée et un très gros décalage apparait entre ORC et OIM. Il faut dire que le traitement ODF s’est éloigné de la situation d’OIM qui existait au préalable. La gouttière souple maxillaire établit des contacts sur les seules dents cuspidées.
Deux hypothèses diagnostiques doivent être envisagées:
– d’une part une dépression masquée dont les symptômes oro- faciaux seraient une des expressions,
– d’autre part un dysfonctionnement occlusal, par défaut de calage, qui aurait des répercussions sur le jeu des muscles, muqueuses et téguments oro-faciaux.
Notre attitude n’est pas de pousser d’emblée les patients vers l’hypothèse dépressive, même si comme dans ce cas des éléments clairs vont dans cette voie. Nous souhaitons commencer par éliminer le rôle supposé de facteurs occlusaux. C’est la raison pour laquelle nous proposons une orthèse en ORC à visée diagnostique. Elle est présentée sous cet angle à la patiente en lui précisant que le défaut de résultat nous inviterait à prioriser les facteurs psychologiques.
Revue après 2 semaines la patiente nous dit qu’elle n’a pas pu porter la gouttière qui entraîne des tensions insupportables dans la région incisive maxillaire. Elle a préféré reporter sa gouttière souple qui la soulage. L’examen de notre orthèse en bouche montre que la position mandibulaire s’est modifiée et qu’une équilibration mineure doit en être faite. Nous contrôlons cet équilibre en ORC sur la gouttière.
Revue la semaine suivante la situation est identique, mais la demande principale concerne d’abord la douleur au palais. La patiente perçoit que cette douleur augmente avec son niveau d’émotion. Elle le verbalise spontanément . Nous contrôlons et affinons l’équilibre mandibulaire en ORC sur l’orthèse.
Revue après 2 semaines la patiente n’annonce aucune amélioration et préfère porter son orthèse souple.
Faut-il définitivement abandonner l’hypothèse diagnostique occlusale et dire à la patiente qu’elle a besoin d’une prise en charge médicale qui inclura une évaluation de ses signes et symptômes dépressifs?
Faut-il adresser cette patiente à son médecin traitant?
Faudrait-il accéder à sa demande si elle demandait le remboursement de son orthèse « inutile »?
4 commentaires
Dr INO a dit:
Jan 8, 2013
Si l’on reprend l’historique de ce cas, il ressort que le motif initial de consultation ce cette patiente est une douleur à type de brûlure au niveau de la muqueuse palatine, symptôme qui continue d’ailleurs de constituer sa plainte principale après le traitement ODF et les gouttières.
Comte tenu du contexte psycho-social très perturbé, on est évidemment tenté de s’orienter vers un phénomène de somatisation à travers ces sensations de brûlure (évoquant une stomatodynie malgré le jeune âge de la patiente). Si tel est le cas, on sait que toute intervention « invasive » (coronoplasties, ODF)ne fait bien souvent qu’aggraver les symptômes initiaux (quelle était d’ailleurs l’indication du traitement ODF ?)
Personnellement, j’opterais donc pour votre première hypothèse et renoncerais à tout « traitement occlusal ».
jeannine a dit:
Jan 9, 2013
Mon attitude a été celle que vous auriez vous même retenue. J’appécie que vous ayez mis entre parenthèses le « traitement occlusal » car effectivement, si j’ai eu une « intervention occlusale » en plaçant une orthèse diagnostique, il me semble que cela ne puisse être considéré comme un « traitement ». Puisque nous partageons la compréhension de ce cas je me permets de vous demander si vous auriez pris la responsabilité de référer cette patiente à son médecin traitant ou à un autre spécialiste, et sous quelle forme. Merci de votre contribution.
Dr INO a dit:
Jan 10, 2013
Le plus difficile est surtout de faire comprendre (et accepter) à la patiente les raisons qui nous amènent à lui proposer une telle démarche. Cela nécessite beaucoup de diplomatie, de tact et de psychologie. Une fois la démarche acceptée, le reste est plus facile, les deux options (médecin traitant ou spécialiste) étant possibles et à discuter avec elle.
Jeannine a dit:
Jan 10, 2013
Ne pensez vous pas que l’orthèse peut être présentée, en début de prise en charge, comme une sorte de « juge de paix »? Dès la première consultation les symptômes orientent vers une somatisation. Pour ma part je l’ai signalé comme hypothèse étiologique prioritaire par rapport à l’hypothèse occlusale. Dès lors le recours à l’orthèse (en précisant qu’il faudra qu’un soulagement éventuel soit maintenu sur plusieurs mois) validera ou invalidera une participation occlusale. Je présente les choses aussi clairement que cela. L’absence de soulagement par l’orthèse facilite l’orientation vers une prise en charge médicale. L’échec de l’orthèse m’incite alors à évoquer avec le patient d’hypothétiques problèmes de dépression (les symptômes d’une dépression et non les raisons psychanalytiques auxquelles je ne crois pas). Les patients acceptent assez bien d’entendre ces explications. Le souci est que trop souvent le médecin traitant, au lieu de s’en tenir aux symptômes de la dépression, se prend pour un psychiatre et essuie un refus de la part du patient. La dépression est un désaquilibre des médiateurs chimiques du cerveau et ce n’est pas en allant fouiner dans la vie privée des patients qu’on les soulage. C’est un problème de molécule cérébrale et ça un patient peut l’entendre plus facilement.