Mademoiselle Marie Louise F., 18 ans est adressée par son chirurgien dentiste pour un blocage articulaire droit, douloureux, apparu quelques jours plus tôt puis spontanément disparu. Cette jeune fille avait depuis plusieurs semaines des craquements articulaires de l’ATM droite dont elle n’identifie pas l’origine. Elle a été victime d’une agression et de coups mais ceux ci ne semblent pas à l’origine des désordres ATM. A moins que le stress consécutif aux procédures judiciaires ne soit un facteur de crispation qui pourrait être pris en compte. La palpation retrouve une luxation discale réductible (assez difficilement) de l’articulation droite. Il n’y a pas eu d’ODF, la position de sommeil est dorsale et nous ne notons pas d’hyperlaxité. Une légère gingivite est observable mais les dents sont globalement en bon état à l’exception de la 46 dont la morphologie occlusale a été récemment aplanie à la suite du traitement d’une carie, dans l’attente d’une couronne. C’est après cette intervention que les craquements sont apparus. Le confrère, avant de réaliser la couronne a voulu connaître notre avis sur ce désordre articulaire. Il n’y a pas de décalage ORC/OIM.
Jean François Lauret a décrit des luxations discales consécutives à un défaut de guidage molaire. Il a observé le rôle du pont d’émail dans le guidage mandibulaire lors des mouvements des mouvements centripètes de mastication. Dès lors un défaut de guidage molaire en mastication permet d’imaginer que les forces musculaires développées lors de la mastication peuvent contraindre le condyle mandibulaire contre le disque articulaire homolatéral et être à l’origine de son déplacement.
Partant de cette hypothèse diagnostique, pour ce cas précis, nous avons choisi de restaurer la morphologie occlusale de la molaire aplanie de façon à recréer un guidage molaire centripète. Un composite molaire a été utilisé à cet effet. La situation de quasi-occlusion inversée sur ces molaires a rendu la restauration difficile. Dès la fin de la restauration la luxation discale réductible (LDR) n’était pratiquement plus perceptible. La patiente revue en contrôle quelques semaines après présente à nouveau la LDR. Mais la restauration a été cassée; ce qui pourrait montrer au passage le niveau de contraintes des guidages molaires. Nous avons refait la restauration…qui n’a pas non plus résisté.
Nous avons alors demandé au praticien de faire une prothèse transitoire que lui proposions de régler ultérieurement pour rétablir plus durablement les guidages de mastication. En fait le praticien a lui même réalisé une prothèse transitoire en résine d’une morphologie rétablissant les guidages de mastication. Et quand la patiente est venue à son contrôle…elle n’avait plus de LDR.
Bon nombre de théoriciens de l’occlusion ne prennent jamais en compte les forces de mastication et les guidages qui y seraient liés. Connait-on une seule étude épidémiologique sur les DAMs (ou au moins les LDR) qui prendrait en compte ce genre de facteur? Pratiquement aucun praticien n’est en mesure de tenir compte de ces données occlusales lors des ses actes restaurateurs. Idem pour les orthodontistes.
Faut-il prendre les informations de Jean François Lauret pour une fable, ou faut-il les intégrer dans nos pratiques quotidiennes et nos réflexions sur l’éventuelle causalité qui pourrait exister entre l’occlusion et les DAMs?
11 commentaires
canine a dit:
Nov 26, 2012
Pour avoir connu et suivi les enseignements de JFL, je suis de votre avis. la nature ne laisse rien au hasard, surtout quand elle décide de donner une morphologie et une orientation particulières aux 1ères molaires maxillaires et mandibulaires. Pour ma part je privilégie « les réglages en latéralité » dans les mouvements centripètes, mais cette conception se heurte à des décennies de mauvaise pratique, surtout au niveau des laboratoires de prothèse lors de la réalisation des prothèses conjointes.Dans de nombreux cas de LDR, la symptomatologie disparait avec le rétablissement des contacts en entrée de cycle par ajout ; exit la soustraction systématique, exit les meulages sélectifs intempestifs…Réfléchissons à l’utilisation des nos « simulateurs » (diagnostic et traitement) qui ne prennent pas en compte cette réalité à moins qu’ils ne soient modifiés.
A chaque fois que l’on évoque les travaux de Lauret-LeGall, on nous prend pour de doux rêveurs.
carmen touchina a dit:
Nov 26, 2012
D’accord avec vous pour considérer que les avancées dues à Lauret et Legall ne sont pas des élucubrations. Leur importance est fondamentale pour comprendre certains DAMs qui comportent des insuffisances de calage ou de guidage. Le problème est qu’il est très difficile d’observer ces carences dans les situations les plus communes. Ce cas avec une face occlusale réduite à zéro me donnait l’occasion d’illustrer simplement la proposition de Lauret.
Ce qui me frappe, et peut être puisque vous avez suivi les enseignement de Lauret pourrez vous m’expliquer, c’est que les réflexions cliniques de Lauret et Legall (la musculature recrutée en mastication est différente de celle qui assure les mouvements d’analyse centrifuge)devraient modifier toute la dentisterie, des soins restaurateurs à la prothèse, de l’ODF à la prise en charge des DAMs. Or ce réflexions ne sont pas prises en compte dans la dentisterie générale. Créé-t-on des pathologies par « ignorance »? La nature est-elle suffisemment adaptable pour ne pas avoir besoin de tenir compte des observations de Lauret et Legall? Est ce trop difficile de tenir compte de ces observations lors de nos travaux quotidiens?
J’ai cru comprendre qu’à Strasbourg il y a une « école » qui enseigne et pratique selon les principes de Lauret et Legall.
castor a dit:
Nov 26, 2012
Deux phrases me frappent dans les commentaires:
Carmen dit: « La situation de quasi-occlusion inversée sur ces molaires a rendu la restauration difficile…Nous avons refait la restauration…qui n’a pas non plus résisté »
Le problème maintenant, au niveau occlusal, je suis bien d’accord est le guidage molaire, merci à J.F. Lauret et à M. Legall de nous l’avoir montré.
mais.. peut être le problème initial est l’occlusion molaire en quasi-occlusion inversée, ce qui a peut être conduit à la destruction de la molaire inférieure et à la pathologie articulaire observée.
Quel est le côté de mastication? Pourquoi le patient a-t-il choisi ce côté de mastication? Pourquoi les molaires se sont-elles placées en bout à bout transversal de ce côté?
Dommage qu’un traitement orthodontique n’ait pas équilibré l’occlusion très tôt !
carmen touchina a dit:
Nov 26, 2012
D’accord avec CASTOR. C’est vrai qu’un traitement ODF aurait peut être pu « améliorer » la situation ou pour reprendre votre terme « équilibrer l’oclusion ». Mais on voit tant de fois l’inverse, avec des extractions de prémolaires ou des laignements dont le seul objectif est de cadrer avec les « normes » esthétiques du moment. Oui l’ODF devrait d’abord se concevoir comme un traitement permettant d’optimiser les fonctions occlusales de l’appareil manducateur.
canine a dit:
Nov 26, 2012
Pour répondre à Carmen, une petite manip simple: Faites mastiquer sur un papier articulé, donc coté mastiquant et voyez la trace; puis à partir de la PIM ( ou de l’OMC si elles correspondent) avec un papier de couleur différente, faites exécuter une latéralité, donc un mouvement centrifuge et comparer les traces. Vous vous apercevrez que dans le dernier mouvement, la trace est plus mésiale et orientée différemment?. Alors, qu’est-ce qui a changé la trajectoire , si ce n’est la musculature, et peut être bien le ptérygoidien lateral entre autre, mais aussi certains faisceaux du temporal, qui ne sont pas contractés de la même façon ???? Ptérygoidien lateral, disque, zone bilaminaire, position du condyle Md, cela n’évoque-t-il rien ?
D’accord pour l’ODF, qui a longtemps nivelé pour satisfaire à des normes, et que dire des exo sytématiques des pm sup. Mais c’est en train de changer !
A Montpellier , les observations de Lauret sont suivies et enseignées mais très timidement, par contre à Marseille et bien sur à Nantes Rennes et Brest, plus Strasbourg (chose qui j’ignorais), cette conception est prise très au sérieux
carmen touchina a dit:
Nov 27, 2012
Et si OIM et ORC ne correspondent pas quels enseignements tirez vous de vos marques colorées? Si la mastication se fait en OIM et que celle ci est pathogène, la mastication elle même ne devient-elle pas pathogène? Merci CANINE de vos réponses.
castor a dit:
Nov 27, 2012
D’accord avec vous Carmen, si l’OIM est pathogène, la mastication le sera aussi.
Il y a absolue nécessité pour tous nos traitements, soins, prothèse, ODF de privilégier les ATM.
La position du condyle dépend de l’occlusion dentaire, certes, mais aussi de tout l’équilibre du patient: viscéral, psychologique, postural…
L’ODF ne doit pas être un alignement esthétique, bien que ce soit pourtant encore ce qui est considéré. IL ne faut pas oublier que les dents servent à se nourrir, pour la survie, pas pour sourire seulement! Un traitement ODF doit permettre au patient de retrouver les conditions optimales de développement qu’il aurait dû se construire seul, avec de la place pour la langue et une mastication fonctionnelle. Dans ce cas les dents seront alignées et le resteront.
carmen touchina a dit:
Nov 27, 2012
Tout a fait d’accord l’opinion de CASTOR, avec une toute petite précision avec laquelle il sera d’accord: il faut certes privilégier les ATMs lors de nos traitements, mais dans leur aspect fonctionnel, donc sans sous estimer le nécessaire silence clinique complet de la musculature qui s’y rapporte.
canine a dit:
Nov 27, 2012
Il faut donc corriger l’OIM (les dents) car elle ne correspond pas à la position musculaire. le port d’un DIO pendant un laps de temps court permettra de retrouver une musculature « apaisée » et d’y voir un peu plus clair. Quant à l’ORC, c’est une position qui n’existe pas sauf pour les transferts sur simu, ce n’est pas une position naturelle,du moins si l’on considère sa définition première. Elle a été utilisée la 1ere fois par les radiologues, c’est une position condylienne(RC) avec le 1er contact dentaire (ORC)obtenue par manip plus ou moins forcée par les gnathos du siècle dernier.
Mettre en harmonie OIM et OMC c’est très très très difficile, et quand cet équilibre existe, ne pas le rompre avec nos prothèses, nos reconstitutions coronaires, avec l’ODF. Et en plus il faut gérer et intégrer les problèmes périphériques. Certaines fois c’est un peu le bordel comme chez la blonde, myope, hyperlaxe, … (mdr)
Gtoucompri a dit:
Nov 28, 2012
Ben mon colon, si toutes les personnes qui n’ont pas ce pont d’email au niveau de la 46, ça fait du monde dans le Landerneau qui doivent avoir des LDR.
Carmen touchina a dit:
Nov 29, 2012
Canine, je suppose que DIO signifie dispositif inter occlusal? Par ailleurs j’ai du mal à vous suivre sur votre description de l’ORC. Il y a tellement longtemps que ce concept n’a plus cours. Quant à harmoniser OIM et ORC cela me semble le B-A BA de l’odontologie. Même si je suis d’accord avec votre opinion selon laquelle que cela peut être difficile; en particulier si on veut intégrer les concepts de LAURET.,