Compte tenu des modèles biomécaniques de l’appareil manducateur, des valeurs relevées par les jauges de déformation sur la mandibule et des mesures EMG de contraction des muscles masticateurs, nous proposons quelques réflexions quant à l’implication de la mastication dans les DAMs ? Rappelons quelques faits admis:
– La mastication est un phénomène en général unilatéral alterné.
– Des contraintes (compression et tension) sont transmises asymétriquement aux ATMs lors de la mastication.
– L’activité musculaire est maximale dans la phase buccale du cycle de mastication, juste avant l’OIM.
– Les muscles masticateurs sont toujours plus actifs du coté mastiquant.
– Les muscles masticateurs du coté mastiquant atteignent leur activité maximale après ceux du coté non mastiquant.
– Plus l’obstacle occlusal à l’écrasement est mésial (incisif), plus les forces transférées aux condyles seront égales
– Plus l’obstacle occlusal est distal (molaire), plus le condyle non mastiquant sera soumis aux contraintes, en, particulier pour des aliments durs.
1- Mastication et disques articulaires. Dans les conditions anatomo-fonctionnelles les plus fréquentes, la forme du disque (biconcave) et des surfaces articulaires font que le disque reste interposé entre ces surfaces lors de tous les déplacements mandibulaires. Cependant, pour un nombre important de sujets (au moins 20%) des conditions articulaires moins favorables sont rencontrées. En particulier, une laxité articulaire générale ou locale peut favoriser une fragilité des ligaments et de la capsule qui maintiennent les pièces articulaires entre elles. Par ailleurs, de nombreux sujets présentent une certaine incoordination discale. Des contraintes fortes sur le disque peuvent alors en favoriser le déplacement. Ces contraintes peuvent venir soit de postures défavorables durables (position de sommeil, activité sportive ou musicale, etc…), soit de parafonctions latéralisées, soit de contraintes de mastication (surtout si la musculature est puissante), soit même de situations occlusales déséquilibrées. Pour ce qui concerne la mastication, fonction pluri-quotidienne, les patients perçoivent très bien les difficultés discales qui peuvent en résulter : bruits articulaires, motilité mandibulaire perturbée, douleurs et blocages. Dans certains cas d’atteintes unilatérales, les patients concernés trouvent spontanément la parade et réservent la mastication au coté homolatéral d’une luxation discale réductible. Ce symptôme est à noter lors de l’entretien clinique. Le clinicien, sans préjuger de ses autres moyens d’action, en cas de luxation discale réductible (LDR), donnera donc comme conseil de mastiquer du coté du déplacement discal.
2- Biomécanique de mastication et diagnostic des DAMs. Le test de Krogh Poulsen est une illustration des contraintes articulaires de mastication. En effet, quand on demande au patient de serrer sur un obstacle occlusal le plus distal possible, on mime la mastication unilatérale d’un aliment coriace placé le plus près possible de l’axe bicondylien. Le modèle biomécanique de l’appareil manducateur nous apprend que nous transférons ainsi une contrainte maximale à l’articulation controlatérale (non mastiquante). Cette contrainte est d’abord une compression. Si le disque est correctement interposé entre les surfaces articulaires il n’y a aucun symptôme particulier. Mais si le disque est déplacé, que la zone bilaminaire est interposée entre le condyle mandibulaire et la fosse mandibulaire, l’effort de serrage controlatéral va occasionner une douleur parfois très violente. Comme le ferait la mastication.
3-Désordres occlusaux, mastication, et DAMs. Un certain nombre de situations occlusales sont en mesure de perturber les cycles de mastication. On peut signaler les grands édentements, les grands surplombs ou béances qui ne laissent qu’un ou deux couples molaires pour mastiquer, les occlusions inversées molaires. Nous y ajouterons les décalages OIM/ORC latéralisés. Et bien entendu, encore une fois, ces situations sont d’autant plus préoccupantes que le patient est laxe et/ou doté d’une musculature masticatrice puissante.
– Pour des atteintes discales, à chaque fois que ces situations occlusales obligent la mandibule à mastiquer en transférant à l’articulation fragile des compressions non contrôlées, il faudra la soulager. Soit par des conseils comportementaux, soit par une prothèse équilibrée.
– Pour des atteintes musculaires (myospasme en général) le diagnostic mettant en relation entre la situation occlusale, les fonctions mandibulaires et le DAM est plus difficile à établir. Là encore le fait de mimer la mastication (test de Krogh Poulsen) donne une indication fiable : si l’écrasement d’un obstacle occlusal dans la région la plus distale de l’arcade produit une douleur du coté homolatéral, c’est que les muscles homolatéraux souffrent. La conduite à tenir est de commencer par lever le myospasme pour identifier le rôle éventuel des conditions occlusales quand la position mandibulaire est détendue (ORC).
– Pour les grands édentements la pire des situations, est celle qui permet un calage approximatif prémolaire ou molaire unilatéral et, simultanément un calage variable canin controlatéral. Du point de vue biomécanique cette situation favorise les contraintes musculaires et articulaires les plus asymétriques.
– Pour les grands surplombs, les patients qui ne peuvent établir un calage stable et non contraignant pour les ATMs, ont une mandibule qui cherche à se stabiliser par une propulsion (plus ou moins latéralisée) non contrôlée et souvent non perçue par le patient. La mastication dans cette situation peut être responsable de contraintes anarchiques sur les ATMs en particulier pour les sujets musclés et stressés. Dans de nombreux cas pourtant, la mastication linguale permet de limiter ces contraintes. C’est quasiment la règle pour les granges béances.
– Les situations d’occlusion inversées molaires peuvent aussi être à l’origine de cycles de mastication atypiques qui perturberont à la fois la cinématique articulaire (et la stabilité des disques) et le jeu musculaire.
– Enfin, nous aimerions proposer une hypothèse mécaniste à un certain nombre de DAMs aggravés par la mastication. S’il existe un différentiel OIM/ORC il est toujours dans les sens antéro-postérieur : l’ORC est toujours en arrière de l’OIM. De plus ce différentiel peut être latéralisé. Même si on pense que la mastication se fait en OIM, il n’est pas certain qu’une position mandibulaire de l’ORC ne soit pas, plus ou moins, impliquée. On peut très bien imaginer que les mouvements mandibulaires de mastication qui aboutissent à écraser dans une situation proche de l’OIM, soient en fait perturbés par les contacts qui peuvent s’établir entre ORC et OIM (interférences). Si tel était le cas on peut imaginer que les contacts très postérieurs de l’ORC, même furtifs, soient l’occasion de contraintes très fortes du coté non mastiquant.
Conclusion
Il est toujours très difficile d’imputer à des éléments occlusaux un rôle causal dans les DAMs. Cependant, l’appareil manducateur doit aussi être compris comme le siège de contraintes fortes, en particulier liées aux dents et à l’occlusion. Eliminer les éléments occlusaux de la compréhension de l’étiopathogénie des DAMs est une erreur grave qui pénalise nombre de patients.
10 commentaires
gtoucompri a dit:
Oct 31, 2012
Très interessant. mais ne pas oublier que au dessus des dents il y a les tiroirs alvéolo-dentaires, au dessus des alvéoles, les maxillaires, et la mandibule, au dessus du maxillaire la base antérieure du crâne, au dessus du condyle, le temporal, et puis toutes les pièces squelettiques crâniennes, le tout constituant l’architecture cranio-faciale, bien décrite par l’analyse cépholométrique de Delaire.
Pour bien comprendre la génèse des DCM, et ici en particulier les contraintes de la mastication sur les ATM, il faudrait analyser l’architectural cranio-facial de manière systématique de tous les patients atteints de cette pathologie, ce qui permettrait de mettre en évidence, certaines caractéristiques cranio-faciales favorisant l’apparition de ces pathologies articulaires.
Mais cela demande un pont entre occlusodontistes et orthodontistes, et que les orthodontistes étendent leurs préoccupations au dela de la sphère buccale, vers l’ensemble de la face du crâne et bien sûr du rachis.
Ainsi les contraintes dentaires sur les ATM seraient mieux appréhendées, dans leur contexte architectural cranio-facial.
Je conseille les nombreux articles du Pr Delaire qu’il a écrits sur le sujet.
Indiana Jones a dit:
Nov 1, 2012
Bonjour,
Cette discussion paraît très intéressante, mais je pense qu’on oublie le rôle principal des dents qui est d’intervenir dans la mastication. Or dans cette fonction vitale( « tu ne bouffe pas tu crèves ! »),la mandibule décrit des cycles (toujours centripètes)avec des contacts dentaires stratégiques qui se produisent dans les ou le dernier millimètre avant les contacts dentaires. On a trop longtemps considéré l’occlusion statique en parlant de RC (les occluso-radiologues), d’ORC (les gnatos), d’OIM, d’OMC (les pseudo-fonctionnalistes),…
Bien sûr, pour le confort, l’OIM (etape suivante de l’OMC) devrait s’établir sans interférence et manière équilibrée (harmonieuse), c’est la fin du premier temps masticatoire, entre entrée de cycle et sortie de cycle.
Chacun de nous a constaté ce phénomène lors de l’enregistrement unilatéral de la relation interdentaire avec interposition d’une feuille de cire +/- refroidie, donc +/- dure. Plus la cire fait obstacle, et plus l’enregistrement est latéralisé du coté mordant, avec comme 1er contact la cuspide DV de la 6 maxillaire et glissement vers l’OMC. D’ailleurs Lauret a bien mis en évidence l’importante de cette « canine du fond » et des entrées de cycles du coté mastiquant. Des anomalies à ce niveau, et dieu sait que les étiologies sont nombreuses,entraîneront un désordre musculo-articulaire.
Pour preuve, analyser les conséquences du nivellement de la courbe de Spee, par bascule distale des 6 maxillaires (et non translation) suite à Forces extra-orales: le relief de la cuspide DV est effacé, la dent ne remplit plus son rôle dans la localisation de la mandibule avant l’OMC, la canine controlatérale non plus en sortie de cycle.
Cette dent, et sa position sont capitales, au même titre que le guide antérieur (que Dawson avait entre autre assimilé à un fusible).
Une partie, sinon la plus importante, des DAM’s n’existerait plus en privilégiant l’occlusion sous un angle dynamique, et non plus statique. La RC et l’ORC sont des notions pour satisfaire aux théories mécanistes, au transfert et à la programmation des simulateurs, rien d’autre.
Rien dans la nature n’est dû au hasard, et surtout pas la morpho dentaire.
Gtoucompri a dit:
Nov 1, 2012
Puisque l’on parle de nature qui semble t-il est bonne, vous prenez tous les édentés de la planète et « Dieu sait »( puisque l’on est dans le determinisme) s’il y en a, et tous ceux à qui il manque la cuspide disto-vestibulaire de la première molaire supérieure ou une canine , et vous me dites qu’elle est le pourcentage de gens qui développent une DCM! à vous lire ça doit faire du monde, disons 90 % des humains!!!
Heureusement que « la nature » est bonne et adaptative.
Men-X a dit:
Nov 1, 2012
Le test de Krogh Poulsen: Pour ma part; j’ai abandonné ce test: trop de faux-positifs. Les douleurs musculaires apparaissent aussi en contro-latéralités.
Une question: comment se fait-il que les personnes atteintes d’Acondylies ne soient pas plus affectées et fonctionnent pratiquement normalement du point vue de la fonction?
Gtoucompri a dit:
Nov 1, 2012
Adaptation. On peut vivre avec un œil une oreille un bras et une couille, testicule pardon, mais il vaut mieux avoir les deux.
Men-X a dit:
Nov 1, 2012
C’est mieux mais pas forcement nécessaire; et pas forcement un impératif de traitement. Peut etre faudra-t-il aussi un débat sur la notion du handicap et du rapport Risque/bénéfice d’un traitement.
Mais cela ne répond pas à la question de l’interprétation strictement biomécaniste dans l’étiologie des ADAMS.
Il semble en effet que les composantes adaptatives de tout être vivant (tolérances tissulaires, renouvellements tissulaires; remodelages adaptatifs, adaptations comportementales… ) soit délaissées au profit d’une recherche d’une seule normalité…
Si tel était le cas, les dysfonctionnements seraient directement proportionnels aux dysmorphoses dento-alveolaires et/ou squelettiques et les perturbations occlusales créées EN COURS DE TRAITEMENT ODF seraient une catastrophe pour les ATMs.
je vous livre ces éléments de réflexion en regard des syllogismes habituels des tenants des modèles de pensée « articulateurs »…
faudrait-il élargir nos connaissances?
hans block a dit:
Nov 1, 2012
Merci pour ces interventions passionnées mais raisonnables qui donnent envie d’aller plus loin.
1- Absolument d’accord avec Gtoucompri l’oeuvre de Delaire est capitale et sous exploitée dans nos réflexions diagnostiques et thérapeutiques des DAMs. Elle donne des ouvertures architecturales fondamentales. Gtoucompri ne pourrait-il pas nous proposer un thème des DAMs qui pourrait être mis en rapport avec les apports de Delaire? Je fournirai les bibliographies scannées sur ce blog pour qu’elles soient accessibles à toutes et à tous. Je pense en particulier à la compréhension de la position des ATMs par rapport au rachis cervical en analyse sagittale. Mais il y a tellement de richesses cliniques dans l’oeuvre de Delaire! Toutes les propositions seront bonnes.
2- A Indiana Jones (première visite sur ce blog? merci)je ne peux que dire mon accord sur la prise en compte de l’occlusion dans la compréhension des DAMs; mais je crains que les apports cliniques de J.F. Lauret, si importants, ne soient pas suffisants. Avec Gtoucompri, je ne pense pas que le déficit de guidage molaire en mastication soit responsable de la plus grande partie des DAMs. Par ailleurs, je ne comprends pas tous les sous entendus culturels du texte d’Indiani Jones au sujet des OIM, ORC, etc…Peut-on en savoir un peu plus sur sa façon de concevoir les positions de référence de la mandibule?
3- MEN-X. Je ne suis pas persuadé que le test de Krogh Poulsen donne des faux positifs: on peut avoir du même coté une souffrance articulaire et une souffrance musculaire (par exemple le cas très classique du disque en ante-position à cause de crispations des muscles masticateurs qui y sont insérés. Et là encore je suis d’accord avec Gtoucompri, l’adaptation permet des merveilles. Je n’ai pas d’expérience personnelle de patient n’ayant qu’un seul condyle, mais je peux imaginer que la fonction masticatoire se modifie pour d’adapter à la situation.
Mais je rejoins complètement la réflexion de MEN-X concernant la recherche de normalité. La seule normalité qui nous intéresse c’est la normalité fonctionnelle, et non la normalité morphologique ou anatomique. Nous autres thérapeutes avons les plus grandes peines à définir une normalité fonctionnelle et, par simplification abusive, nous considérons qu’en normalisant la morphologie nous nous approchons de la normalité fonctionnelle.(Les pires de thérapeutes pensent que c’est la même chose!) C’est une erreur, c’est certain, mais je ne peux le démontrer. D’ailleurs c’est à tous ceux qui pensent qu’en normalisant la morphologie on normalise les fonctions de prouver cette position intenable. Qui est pourtant tenue aussi bien en ODF qu’en occluso.
Et pour être encore plus prudent, je ne suis pas loin de penser que bien des TRAITEMENTS ODF peuvent être des catastrophes, non pas pour les ATMs, mais pour tout les éléments impactés par ces traitements.
Oui il faut élargir nos connaissances et c’est le seul objectif de ce blog. Je vous remercie de vos contributions (qui en octobre concernent près de 100 connections par jour en moyenne).
Momo34 a dit:
Nov 1, 2012
Merci pour ces 2 articles M Block, qui permettent une approche pragmatique et clinique de débrouillage des pistes de diagnostics en occluso.
Super !
Gtoucompri a dit:
Nov 2, 2012
Suis très content et impressionné par alias Hans Block et ses commentaires concernant les travaux de Delaire et sa trés bonne synthèse.
il y a beaucoup de sujet de réflexion concernant les travaux de Delaire et l’apparition des DCM( dysfonctions cranio-mandibulaire)
le premier sujet sur lequel il a travaillé recemment est la position des ATM, dans les Classe II-2, pour faire court,disto position du ramus avec empiétement de son bord postérieur sur le rachis,et en particulier sur l’arc antérieur de l’atlas, distalisation des condyles dans la glène et tendance à la luxation discale antérieure. pour ma part je demande systématiquement une télé de profil pour analyse architecturale et voir s’il existe réellement une corélation objective entre l’architecture et les anomalies constatées: il faudrait valider ces hypothèses diagnostiques sur un grand nombre de cas: les classes II-2 ont toujours été suspectées d’être pourvoyeuse de luxation discale en raison de la pente condylienne abrupt en rapport avec la supraclusie antérieure, mais aucune études sérieuses ne l’a confirmé sur un grand nombre de cas. Donc bien qu’étant un Delairien de longue date, j’attends que ses hypothèses soient confirmées par les observations cliniques.
L’honnêteté m’oblige à le dire. disons qu’il y a une suspicion de facteur favorisant, sans plus.
je pourrai éventuellement vous passer mon mémoire de DU d’occluso, qui est basé sur des documents de J.Delaire ( excellent DU) que j’ai suivi à Lille chez le Professeur Dupas et Dr Graux qui a contribué à m’ouvrir les yeux, sur les relations, posture, occlusion, vision, stress etc…enfin vous voyez votre excellent blog a de beaux jours devant lui.
Merci pour cette ambiance confraternelle.
hans block a dit:
Nov 2, 2012
Gtoucompri, pourquoi ne pas présenter les conclusions ou les grandes lignes de votre mémoir de Du comme un post qu’on ouvrirait ici à la discussion des lecteurs? Vous pouvez me faire passer vos documents (sous forme numérique) en cliquant tout en haut de la page: soumettre un article.
De mon coté je vais proposer une part des travaux de Dealaire dans un post à venir. la discussion sera passionnante.