Malgré les propos rassurants des orthodontistes les patients demandent souvent à leur chirurgien dentiste s’il est bien nécessaire d’extraire les dents de sagesse de leurs enfants. Les parents crédules et inquiets redoutent de perdre le bénéfice d’un traitement lourd à cause de l’éruption des dents de sagesse présentées comme responsables de récidive de malpositions. Ce discours ne vise qu’à déculpabiliser par avance l’orthodontiste d’un échec du traitement réalisé : la poussée des dents de sagesse n’est pas en mesure de désorganiser l’occlusion ni de provoquer un encombrement antérieur.
Les éléments scientifiques du dossier sont connus : l’encombrement incisif mandibulaire évolue tout au long de la vie et en particulier entre 13 et 20 ans. L’asynchronisme de croissance osseuse entre maxillaire et mandibule, le guidage dentaire absolu dans le couloir de musculature oro-faciale, et l’occlusion, en particulier lors de serrements prolongés, contribuent à un déplacement des dents mandibulaires ; une fragilité parodontale pouvant de plus aggraver ces mouvements dentaires qui seront, à tort ou à raison considérés comme une « récidive », avec perte du bénéfice du traitement ODF.
De nombreuses études ont été faites pour évaluer le rôle de la poussée des dents de sagesse dans l’apparition d’un encombrement incisif. Certaines (dans les années 60) ont cru déceler une poussée mésiale imputable aux dents de sagesse. Mais, à partir des années 90 tous les travaux sérieux vont dans le même sens : rien ne permet de dire que la poussée des dents de sagesse peut à elle seule créer un déplacement des dents antérieures. Citons en particulier les conclusions de l’ANAES de 1997 qui disent qu’ « il n’existe pas de données scientifiquement établies pour recommander ou non une avulsion de troisième molaire, incluse, enclavée ou en désinclusion ». Ce qui exclut la prétendue indication orthodontique. Un travail récent de la Cochrane library reprenant les études randomisées interventionnistes et non interventionnistes vis-à-vis des dents de sagesse, conclut lui aussi qu’il n’y a aucune preuve pour soutenir ou réfuter les extractions prophylactiques de routine des troisièmes molaires incluses chez les adultes. Pour les adolescents, ce travail va même jusqu’à trouver des preuves fiables que ces extractions ne réduisent pas ou ne préviennent pas l’encombrement incisif.
La messe semble dite : halte à l’extraction des dents de sagesse des adolescents pour des raisons orthodontiques! Il faut le faire savoir car ces extractions sont à l’origine de très nombreux désordres ATM traumatiques et invalidants. Notre devoir de chirurgien dentiste est de mettre les parents en garde contre cette erreur médicale.
10 commentaires
Eric Marguerat a dit:
Sep 20, 2012
Cela semble avéré quand il existe des restaurations implantaires mandibulaires dans les secteurs postérieurs par l’apparition d’un défaut de point de contact entre la restauration implantaire et la dent mésiale. J’ai constaté plusieurs fois ce problème de « création » d’un diastème sur un délai variable après la restauration implantaire et à chaque fois le patient avait un terrain parodontal affaibli mais stabilisé. Les dents de sagesse ne sont pas en cause dans l’accentuation des malpositions dentaires et la mésialisation des dents au moins dans ces cas.
hans block a dit:
Sep 20, 2012
Votre remarque sur l’apparition d’un défaut de point de contact entre la restauration implantaire et la dent mésiale est fort importante. L’hypothèse de la faiblesse parodontale n’est pas à exclure. Mais il semble que d’autres facteurs soient aussi à envisager. Comment expliquez vous l’apparition de ces diastémes qui semblent spécifiques à la prothèse implantaire? L’absence de desmodonte joue-t-elle un rôle?
Eric Marguerat a dit:
Sep 20, 2012
Je n’ai remarqué ce phénomène qu’à la mandibule, et uniquement du coté implanté. Cela semble logique car les implants sont par définition « immobiles ». Les patients chez qui j’ai rémarqué cela présentaient une perte de point de contact accompagnée de tassement alimentaire, ce qui m’a alerté. Deux patients ont présenté des diastèmes de presque 1 mm dus à l’absence de visite pendant deux ou trois ans.
DERSOT Jean-Marc a dit:
Sep 20, 2012
Je pourrai vous retourner l’argument. Quelles sont les études evidence-based incriminant les dents de sagesse (présence – absence – extraction ou pas) dans la genèse des DAM ? La messe est loin d’être dite comme vous l’affirmez. Il faut aussi se poser la question : quel est l’objectif d’un traitement orthodontique : 28 ou 32 dents alignées ?
Eric Marguerat a dit:
Sep 20, 2012
Ces remarques concernant les implants montrent que les dents de sagesse ne sont pas forcément impliquées dans les désordres du bloc incisivo canin. Les dents restaurées par des implants sont par définition immobiles et le restant des dents naturelles continue à subir la dérive mésiale.
Par ailleurs est-ce bien nécessaire d’extraire les germes de dents de sagesse quand elles peuvent évoluer correctement sur l’arcade. Des patients ayant eu des germectomies ont quand même présenté des récidives de malpositions.
Il y a des patients pour qui les extractions de dents de sagesse ont entrainé des désordres articulaires mais comment étaient les articulations avant l’intervention? quelle a été la durée de l’intervention? Celle-ci a-t-elle été mutilante? Beaucoup de paramètres qui sont souvent analysés après coup.
Il n’est pas juste de faire porter le chapeau de tous ces désordres à ces malheureuses dents.
DERSOT Jean-Marc a dit:
Sep 21, 2012
Les dents se déplacent toute la vie chez les animaux. Chez l’homme, ce mouvement est à direction mésiale et occlusale.
hans block a dit:
Sep 21, 2012
Merci de ces interventions importantes et sérieuses. Pour répondre à Dersot je veux signaler qu’à mes yeux le risque ne vient pas des dents de sagesse elles mêmes mais des risques opératoires sous anesthésie générale. Chacun sait, sans étude EBD, qu’une intervention sous AG lève le tonus musculaire et qu’un risque existe, en particulier chez les jeunes laxes et hyperlaxes, de léser le système capsulaire et discal, surtout si la position des dents nécessite une très grande ouverture buccale. On ne peut quand même pas organiser une étude où l’on laisse un échantillon de sujets sans prendre les protections indispensables dans le seul but de vérifier qu’il y a plus de lésions post-op!
Il reste que les questions de Marguerat sont parfaitement légitimes et que bien des extractions de troisèmes molaires sous AG ne sont pas suivies de DAM. Cependant, pourquoi en prendre le risque si l’extraction de ces dents n’est pas indiquée?
La remarque de Dersot concernant le déplacement permanent des dents est aussi très importante dans les réflexions que nous tenons au sujet de l’occlusion et de la quasi-impossibilité de mettre en place des travaux EBD qui se fonderaient sur la morphologie occlusale.
parolo a dit:
Sep 23, 2012
Bonjour, sans vouloir rentrer dans la polémique, j’aimerais vous donner quelques réfléxions:
1. La pression des DDS sur les dents mandibulaires et plus précisément les incisives n’a jamais été montré clairement. En revanche il existe des variations de pression dans les espaces interdentaires lorsque l’on passe de la position assise à couchée et réciproquement.
2. C’est la fonction qui définit la position des dents dans le temps et cette migration antérieure (LEE WAY) est physiologique et correspond à une usure provoquée au cours de la vie lors de la mastication.
3. Les interventions prophylactiques sont souvent inutiles, dangereuses. Pour avoir réaliser ces interventions sous anesthésie générale dans plusieurs CHU, les germectomies sont toujours invasives (sans parler des concours réaliser entre internes pour aller plus vite, sans faire d’incisions…) Lors de ces interventions on entendait le claquement des ATMs lors de l’ouverture forcée avec un écarteur….
4. Torres a publié en 1997 une étude qui chiffre le cout de ces interventions par an en France: c’est plusieurs centaines de millions de francs ( de mémoire 350 millions) (désolé mais on n’était pas encore passé en euros) quand vous comptez les arrêts de travail, les sites post-opératoires, les hospitalisations…
5. Actuellement dans notre région , les chirurgiens qui réalisent ce genre d’interventions ne réalisent plus les soins post-opératoires….
6. La plupart de ces chirurgiens ont gardé les propres dents de sagesse (j’ai toujours les miennes)…………
7. Je vous conseille cette saine lecture:
Bénéfices et risques des avulsions de dents de sagesse
Revue de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-faciale
1997, vol. 98, no 3 (101 p.) (33 ref.), pp. 173-178
En espérant n’avoir offensé personne.
hans block a dit:
Sep 23, 2012
Eh bien Parolo vous avez l’art de dire simplement et fortement les choses. Merci de cette contribution qui renvoie chacun à ses responsabilités. Il faut protéger les patients.
hans block a dit:
Sep 25, 2012
voici un lien pour l’article indiqué par Parolo : ici