La cuspide truc dans la fosse machin, la pente incisive comme ci ou comme ça, l’occlusion inversée de telles ou telles dents, le surplomb, la béance, les malpositions ou inocclusions, ne sont que des éléments anatomiques qui, en eux-mêmes, ne donnent aucune information sur la qualité du fonctionnement de l’appareil manducateur. Aucune étude ne pourra jamais démontrer, d’une façon incontestable, que tel élément occlusal anatomique est responsable de tel DAM. Chacun sait que les atteintes de l’appareil manducateur sont multifactorielles et que l’occlusion morphologiquement idéale n’existe pas.
Pourquoi alors s’intéresser à l’occlusion ? Faut-il traiter les DAMs en privilégiant la douleur ou les approches cognitivo-comportementales ? Faut-il faire l’impasse sur les facteurs occlusaux sous prétexte qu’aucune causalité directe ne peut être objectivée par l’observation de l’anatomie occlusale ?
Cette façon de poser le problème est un piège qui condamne de nombreux patients à ne jamais pouvoir bénéficier d’une réelle prise en charge « occlusale ». Pourquoi ?
Pour la simple raison que le seul objectif thérapeutique est de valider ou soulager une position mandibulaire et non l’occlusion. Celle ci ne nous intéresse que dans la mesure où elle pourrait perturber le fonctionnement mandibulaire (ou, pour le dire plus simplement, la position mandibulaire).
Tout le monde accepte l’idée que l’occlusion dentaire intervient sur la position mandibulaire, en particulier par la contraction des muscles élévateurs.
Tout le monde sait que la position mandibulaire obtenue sous contraction des muscles masticateurs c’est l’OIM.
La position mandibulaire en OIM est donc un standard incontournable. Mais, observer l’OIM c’est, en gros, observer des moulages: nous n’y trouvons que les misérables informations que nous signalions en début de texte et qui ne donnent aucun élément occlusal causal pour un éventuel DAM.
Règle 1 : Si l’on s’interroge sur une participation occlusale à un DAM, ce n’est pas l’observation de l’OIM qui permet de dire si l’occlusion perturbe ou non le fonctionnement mandibulaire.
Pour analyser comment l’occlusion intervient sur le fonctionnement mandibulaire il faut donc partir d’une position mandibulaire (reproductible), non tributaire des contacts occlusaux, et qui s’inscrive dans le cadre clinique global, à commencer par l’appareil manducateur (ATMs, muscles masticateurs, langue, ventilation), mais aussi postural. Cette position mandibulaire, dès que le premier contact dentaire s’établit, et quels que soient les concepts sous jacents aux différentes écoles de pensée, est dénommée ORC. Ce qui se passe entre la position mandibulaire d’ORC et celle d’OIM doit être analysé au regard de chacun des éléments du DAM décrit. Le travail du chirurgien dentiste est là car c’est lui qui peut dire si oui ou non l’occlusion est impliquée dans les DAMs.
Règle 2 : C’est le différentiel entre OIM et ORC qui nous dit en quoi l’occlusion intervient, ou non, entre une position mandibulaire détendue (ORC) et une autre sous contrainte (OIM).
C’est alors que les contradicteurs prennent la parole : mais comment définir une même ORC reproductible pour tous les praticiens ? Avec quelle manipulation ? Quel concept occlusal ? Quelle position du patient ? etc… La réponse est simple, théoriquement et cliniquement : c’est le patient qui sait quand son fonctionnement mandibulaire est ou non satisfaisant. Toutes les manipulations que peuvent faire les praticiens, quelles que soient les techniques proposées ne sont que des approximations de la position mandibulaire d’ORC. Quand un patient est détendu, ou dans une situation fonctionnelle convenable, il le perçoit très bien et il le dit.
Pour un patient DAM, aucune position d’ORC déterminée par le praticien lors de la première visite ne peut être considérée comme définitive, reproductible, et pouvant servir de référence finale d’analyse. Il y a le plus souvent des muscles à détendre, des ATMs à réadapter, des désordres linguaux ou ventilatoire mal saisis, ou des déficits posturaux ou oculomoteurs qui restent à comprendre. Autrement dit, pour un patient DAM, même si le praticien trouve une position mandibulaire détendue qui peut passer pour l’ORC (et qui souvent en est proche), il ne doit pas considérer que c’est l’ORC. Il faut du temps, et le plus souvent une orthèse, pour que la mandibule et l’ensemble de l’organisme perçoive et repère la position d’ORC de référence.
Règle N°3 : Il faut du temps (plusieurs semaines) pour repérer chez un patient DAM la position d’ORC ; celui ci doit confirmer, par son confort fonctionnel, la répétitibilité de la position mandibulaire que le praticien peut observer.
Aucune étude scientifique sur le rôle de l’occlusion dans les DAMs ne saurait faire l’impasse sur l’analyse du passage de l’ORC à l’OIM. Parce que c’est là que ça s’objectivent les désordres de l’appareil manducateur, quels que soient les caractéristiques morphologiques des contacts dento-dentaires : malocclusions ou inocclusions, béance ou surplomb, occlusion inversée ou non, normoclusion ou non.
Toute la difficulté de l’odontologie c’est de comprendre, identifier et respecter l’ORC dans sa dimension globale. Et donc de gérer les contacts dento-dentaires qui interviennent dans la position mandibulaire correspondante.
5 commentaires
Dr INO a dit:
Mai 30, 2012
Bonjour Jeanine,
Vous semblez convaincue que l’un des éléments clés pour expliquer la survenue de DAMs est l’ORC, et plus précisément le passage de l’ORC à l’OIM.
Pourquoi pas, mais j’aimerais savoir sur quelles références scientifiques ou cliniques repose votre conviction.
Auriez vous des références bibliographiques qui vont dans ce sens à nous indiquer ?
Je suis preneur !
Merci par avance
jeff2 a dit:
Mai 30, 2012
Encore un petit effort Jeanine, la remise en cause de notre enseignement à laisser plein de portes ouvertes vers d’autres approches radicalement opposées.
Q-SPEEDO a dit:
Mai 30, 2012
Je vous propose une excellente référence bibliographique à ce sujet, pour tous ceux qui auront le courage de la lire en entier :
http://www.amazon.com/Functional-Occlusion-From-Smile-Design/dp/0323033717
Daniel Rozencweig a dit:
Mai 30, 2012
J’apprécie cet article qui propose clairement une ligne de conduite simple pour les patients algiques ou dysfonctionnels. La grande diversité des cas cliniques, de leur symptomatologie, des étiologies simples ou cumulées, ne permet pas de définir une ligne de conduite univoque. C’est pourquoi le schéma progressif qui essaie de tenter en premier de réduire surtensions ou parafonctions par l’éducation du patient, puis d’adjoindre des exercices (gymnothérapie, kiné, physiothérapie, rééducation) est une voie sécurisante pour éviter les surtraitements. Si les troubles persistent et que l’observation de l’équilibre mandibulaire, très bien décrite ici, montre une déviation du chemin de fermeture entre le premier contact dentaire en ORC et l’OIM, le port d’une orthèse est susceptible de tester l’effet d’une restitution de l’équilibre perdu. Pendant cette phase sans intervention sur la morphologie des arcades dentaires, donc totalement réversible, la relaxation musculaire et la réduction d’éventuelles inflammations articulaires sera propre à révéler si les signes et symptômes peuvent régresser. Même là encore, la coronaroplastie ou la réfection prothétique ne sont pas obligatoires. Le patient peut décider de porter son orthèse toutes les nuits et d’en rester là.
Cessons de considérer que l’occlusodontiste est un excité du meulage et des réfections occlusales, intervenant sans discrimination pour que le fil à plomb et le niveau à bulle soient en position rigoureusement optimale. Et cela sans tenir compte des avertissements répétés de chercheurs qui ont depuis longtemps déculpabilisé, voire relaxé, l’accusé « occlusion ».
Par cette progression prudente l’occlusodontiste vise à soulager les patients souffrants en respectant le « primum non nocéré ». La clinique démontre à travers des milliers de cas que ces moyens simples sont efficaces.
Dédouaner l’effet d’une occlusion d’intercuspidation en asymétrie mandibulaire parce que des compilations d’articles disparates réfuteraient cette étiologie ne me semble pas objectif. Au milieu des années 90, j’ai présidé un groupe de travail ANDEM sur les SADAM réunissant 30 « experts » en vue d’établir des recommandations. 3310 publications internationales des 5 dernières années ont été analysées en terme de preuve scientifique. Seules 4 d’entre elles obtinrent le grade A. Aucune des études qui ont engendré le discrédit de l’étiologie occlusale ne semble répondre aux normes de la médecine par la preuve (groupes de contrôle,etc.).
Ce qui complique l’élaboration d’études réellement significatives c’est la disparité des cas cliniques s’ajoutant à la difficulté de comparaison avec des groupes de contrôle appariés.
Dans la majorité des cas, l’essentiel est d’avoir une approche minimaliste, de n’entreprendre de traitements irréversibles qu’après avoir testé l’effet bénéfique du nouvel équilibre recherché.
Je constate avec plaisir que cet esprit de prudence et de bon sens guide les intervenants du blog « Iocclusion » qui oeuvre avec bonheur à l’information des praticiens et à la clarification de bien des sujets.
jeannine a dit:
Mai 30, 2012
Merci pour ces premiers commentaires ou réactions. L’analyse de Daniel Rozencweig nous va droit au coeur car effectivement l’effort de ce blog et de la plupart de ses intervenants est de dire que l’occluso n’est pas une technique de sauvages interventionnistes à tout crin; au contraire! Nous plaidons pour qu’aucune intervention ne soit entreprise sans diagnostic préalable et nous savons que les pratiques prudentes sont souvent les plus performantes. Nous suivons la bibliographie et nous prenons en charge des DAMs quotidiennement. Ce qui me heurte, à titre personnel, c’est la dérive intellectuelle (je dirais volontiers idéologique) qui consiste à dire que puisqu’un fait ne peut être démontré, il n’existe pas. Certes, à mes yeux, pas une étude scientifique ne peut prouver que l’occlusion est causale en matière de DAM. En existe-t-il une seule qui prouve le contraire? pas plus. Et donc, pour répondre à la demande de DR INO, je reste sèche: je n’ai pas de référence bibliographique incontestable à vous proposer. Mais je vous propose que nous réfléchissions ensemble au design d’une étude clinique qui permettrait d’établir une éventuelle causalité (ou de la réfuter) entre occlusion et DAM. Ce que nous propose Q-SPEEDO c’est en fait le travail d’un clinicien remarquable. Quelle que soit la qualité de son travail, ce ne sera jamais une preuve.
Mais restons en aux références bibliographiques et en particulier à celles qui nous disent que l’occlusion n’est pas un facteur causal de DAM. Comment expliquer qu’elles puissent être répercutées par le milieu universitaire alors même qu’il devrait y appliquer son légitime et salutaire esprit critique? Est-ce la question sous jacente du commentaire de JEFF2 ? Si telle est l’interrogation je vais être sans doute un peu dure et il faut m’en pardonner: qui enseigne l’occluso et les DAMs dans l’université française? Qui dans les centres de soins veut mettre les mains dans le cambouis (sans labo, sans personnel, sans tarification, sans suivi fiable…)alors qu’il est tellement plus facile et valorisant de faire des ordonnances et de pérorer sur la douleur? Qui veut jouer au dentiste alors qu’on peut faire le médecin? Alors, je me suis dit que peut-être, en cessant de parler d’occlusion pour parler de position mandibulaire, on donnera l’impression de faire plus scintifique, plus médical et que nos travaux cliniques exigents seront mieux pris en compte. Le seul problème c’est qu’en attendant, souvent, les patients ne sont pas(ou mal)pris en charge alors qu’ils sont très nombreux.
Les infos rapportées ici par Daniel Rozencweig sont très importantes et contribuent à améliorer ce lei d’échanges.