S’il est une chose bien établie dans la discipline odontologique qui s’intéresse aux désordres de l’appareil manducateur (DAM) et à ses relations éventuelles avec l’occlusion, c’est qu’il n’existe pas de vision diagnostique ou thérapeutique simple qui pourrait servir de consensus pour la prise en charge des patients. On se souvient ainsi de l’effort de l’ANAES (aujourd’hui HAS) dans les années 90 pour dégager un consensus pour les conditions de recours aux orthèses orales. Ce fut impossible et aucun consensus ne fut trouvé. En est-il de même pour toute la discipline ?
Le problème peut être posé pour légitimer la prise en charge optimale des DAMs et de l’occlusion, à la fois par les thérapeutes, les assureurs et les pouvoirs publics.
Le consensus scientifique est le jugement, la position, et l’opinion collectifs des scientifiques qui travaillent sur un domaine particulier d’étude. Le consensus scientifique n’est, en lui-même, pas un argument scientifique, et il ne fait pas partie de la méthode scientifique. Néanmoins, le consensus peut être basé sur la méthode et l’argument scientifiques. En principe le consensus désigne un accord positif et unanime.
Plutôt qu’une opinion adoptée par une majorité, le consensus suggère l’apport de multiples opinions différentes, et leur adaptation progressive, jusqu’à ce qu’une solution satisfaisant le plus grand nombre de personnes puisse être dégagée. Le consensus ne signifie pas forcément que tout le monde est satisfait du résultat, mais suggère plutôt que tout le monde peut juger le résultat acceptable et que la majorité est satisfaite. Ce type de compromis est nommé gagnant-gagnant. Le consensus correspond à une décision qui fait place à la créativité de chacun : résoudre un problème plutôt que bataille à gagner, se projeter dans la discussion comme « nous ensemble » plutôt que « toi contre moi », et faire en sorte qu’aucune décision ne soit prise avant que tous les participants ne l’acceptent.
On comprend que les DAMs et l’occlusion ne semblent pas propices à une démarche de consensus. Qu’on nous permette d’en relever 3 aspects:
1- Les DAMs sont des pathologies plurifactorielles et l’importance que chacun peut donner à tel ou tel facteur limite les possibilités de compromis
2- Des concepts différents sont sous jacents et aboutissent à ce que les cliniciens ou les chercheurs privilégient tel ou tel élément. La démarche vers le consensus voudrait plutôt qu’on cherche à éliminer les éléments marqueurs des différents concepts.
3- Il ne semble exister aucun travail réellement scientifique (falsifiable et reproductible) en matière de DAM; les cliniciens et les chercheurs se trouvent donc en face d’un champ de connaissances en devenir et non établi. Comment dès lors imaginer un consensus?
Dans la culture occidentale on considère que la diversité est préférable et plus riche que la pensée unique. Selon certains, à vouloir éliminer le conflit dans la démarche de recherche de consensus, nous éludons l’opportunité de le dépasser. Il y a davantage de possibles dans un conflit que dans un consensus. Citons C. Pacific: « La réalité nous montre que l’étoffe du consensus est tissée de soumission librement consentie… À force d’habitude, l’exigence de certitude, de vérité, le processus substitue le poison au remède. Le consensus sonne le glas de l’éthique. Poursuivant l’unanimité, la sympathie naturelle, comme le décrivait Cicéron, le consensus diabolise le conflit et cherche expressément à l’éliminer du fait de son chaos apparent. Le besoin d’ordre normatif tend à rechercher l’exclusion du risque d’égarement, la menace d’une possible logique contraire, il totalise le besoin de vérité commune… L’unanimité du consensus recherche la puissance de cohésion contre le risque déstabilisant d’une controverse. » (1)
Pensez vous que le consensus soit une approche productive pour faire progresser les connaissances en matière de DAM et d’occlusion?
(1) PACIFIC C., Consensus/Dissensus – Principe du conflit nécessaire, l’Harmattan, 2011
2 commentaires
Roger23 a dit:
Août 31, 2013
Le consensus dans notre discipline ne vise qu’à installer des positions dominantes, intellectuelles ou matérielles. Il ne fait en rien avancer les thérapeutiques en dehors de fait de prôner la prudence dans les interventions. On ira pas plus loin tant que des éléments scientifiques (comme vous dites falsifiables et reproductibles) ne seront pas versés au dossier. Et pour cela nous avons besoin de nouveaux concepts, de nouvelles approches, de plus de médical.
lomig a dit:
Nov 19, 2014
Un complément intéressant, cité par E. Levinas dans ses conférences, et par C Morel dans son livre consacré aux décisions absurdes et aux métarègles des organisations fiables : dans la tradition judaïque, si un tribunal condamne un suspect à l’unanimité, et qu’après une nuit de réflexion c’est toujours le cas, le condamné est libéré ! C’est un peu la même idée que celle de l’article, visant à montrer la valeur du « vrai » consensus, c’est à dire celui basé sur une vraie controverse.
Il faut je pense aussi dissocier ce qui est de l’ordre de l’acquisition de connaissance, et ce qui est de l’ordre de la décision : même en l’absence de connaissances établies, consensuelles, le praticien doit bien prendre une décision (même si c’est de ne pas intervenir). Sur quelle base, et avec quelles valeurs doit-il le faire, si ce n’est pas en essayant d’utiliser au mieux les connaissances existantes ?